En Algérie, les grandes femmes d’hier méritent un peu de mémoire

C’est une conviction profonde : l’avenir de l’Algérie est bercé par ses femmes.

L’Organisation de la Femme arabe (OFA) compte ériger une statue, au Caire (Egypte), à l’effigie de la moudjahida Djamila Bouhired, qui participe actuellement à la deuxième édition du Festival international des films de femmes d’Assouan. Un hommage qui devrait en appeler d’autres, puisque la réalisation d’un film et l’écriture d’un livre sur son parcours militant sont également prévues.

Son statut d’icône de la révolution algérienne lui a valu les honneurs, à l’aéroport international du Caire, avant d’être chaleureusement accueillie par la présidente du Conseil de la femme égyptienne, Maya Morsi, et la ministre de la culture égyptienne, Ines Abdel Dayem. Preuve qu’en Egypte, la légendaire Djamila Bouhired occupe manifestement une grande place dans les mémoires.

Rien de plus normal, pour cette femme au destin poignant qui a rejoint le Front de libération nationale (FLN) durant ses années étudiantes. Et qui travaillera, plus tard, comme officier de liaison, membre du « réseau bombes » et déposera, le 30 septembre 1956, une bombe qui échoue dans le hall du Maurétania – en raison d’un branchement mal effectué par l’artificier… Djamila Bouhired recrutera ensuite Djamila Bouazza, qui déposera le 26 janvier suivant, dans le cadre d’une vague d’attentats, une bombe très meurtrière au café Coq Hardi.

Tableaux de classe

Un magnifique exemple de courage et de résistance, quoi qu’on en pense, adulé par les Egyptiens, mais qui n’a peut-être pas trouvé sa place dans le cœur des gouvernants algériens. La question se pose : pourquoi est-ce au Caire que Djamila Bouhired verra sa statue s’ériger et non à Alger, lieu de ses nombreux engagements ? Au rang des oubliées, elle ne triomphe d’ailleurs pas seule ; Zohra Drif, Hassiba Ben Bouaali et Djamila Bouazza, entre autres, n’ont jamais pu trouver leur siège dans le panthéon algérien.

Est-ce pour cacher cette « tâche » de leur histoire que les Algériens n’en parlent (presque) pas dans leur manuels scolaires ? Qu’ils n’exportent pas cette magnifique et rare histoire de la lutte féminine ? Ces femmes, pourtant, sont l’une des plus grandes richesses de l’histoire de l’Algérie. Dans ce flot amnésique, citons tout de même l’écrivaine et membre de l’Académie française Assia Djebar – elle aussi oubliée dans son pays natal -, qui a tout de même souhaité rendre hommage à la magnifique Zoulikha Oudai, dans son roman intitulé « La femme sans sépulture ».

Mais c’est trop peu. Que savent les jeunes femmes algériennes de leur tradition féministe ? De leurs ancêtres qui, fières et courageuses, ont porté les armes aux côtés des hommes ? Que savent-elles du concept de l’égalité des sexes dans les rangs de l’Armée de libération nationale (ALN) à l’époque ? Trop peu de choses certainement. A la place, la décennie noire, l’obscurantisme et l’intégrisme inondent les tableaux de classe, alors que les exploits uniques de nos héroïnes pourraient redonner aux Algériennes la confiance qu’elles ont perdu.

Reprendre nos luttes

Longtemps, on a véhiculé une image erronée de nous, de notre histoire, de nos luttes. On a essayé de faire taire nos voies et nous mêler à une société orientale machiste qui n’est pas la nôtre. Longtemps, nous avons été perçues comme des femmes soumises – merci à notre lamentable code de la famille et notre histoire mouvementée. Une image renforcée par la condition plus confortable dont jouissent nos voisines tunisiennes. Pourquoi ce décalage ?

Il flotte, quelque part, quasi insaisissable, une dette envers nous ; celle qui nous rendra notre image affectée et fera éclater la vérité sur nos luttes. Il ne faudra certainement pas compter sur nos gouvernements et nos responsables pour le faire. Mais sur nous. A une condition : celle d’être solidaires et de se battre. Fort heureusement, aux bombes d’hier succèderont les mots et les idées, des projets accouchés de l’esprit. 

Ce n’est pas seulement une question de féminisme ou d’égalité des genres, mais une conviction profonde que l’avenir de l’Algérie est bercé par ses femmes. L’heure est venue pour nous de dire non et d’avancer malgré le contexte. Reprendre nos luttes suspendues et éduquer une génération de femmes libres.

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