« Un recours à la force contre la Syrie pourrait conduire aux conséquences les plus graves » a mis en garde l’ambassadeur russe à l’ONU.
S’agit-il de l’excès de trop pour le régime syrien ? Tandis que la communauté internationale dénonce depuis samedi la nouvelle attaque chimique qui a eu lieu à Douma, dans la Ghouta orientale, à l’est de Damas – faisant plusieurs dizaines de morts -, les voix se succèdent pour accuser l’armée de Bachar al-Assad d’en être à l’origine. Etats-Unis et France en tête. Les premiers, soutenus par la seconde, ont d’ailleurs présenté, hier après-midi, au Conseil de sécurité des Nations unies (ONU) qui s’était réuni en urgence, un projet de résolution pour mettre en place un « mécanisme d’enquête indépendant de l’ONU » (UNIMI) sur l’emploi d’armes chimiques par le régime syrien.
85 attaques chimiques depuis 2013
Dimanche soir, Donald Trump et Emmanuel Macron s’étaient déjà mis d’accord pour « coordonner leurs actions et leurs initiatives au sein du Conseil de sécurité des Nations unies ». Les deux dirigeants d’appeler de concert une « réponse forte » aux actes récents, qui ont entraîné « de nombreux morts, y compris des femmes et des enfants, dans une attaque CHIMIQUE insensée en Syrie » avait par ailleurs tweeté le président américain. Hier, l’ambassadeur français à l’ONU, François Delattre, a donc affirmé que la France soutiendrait le projet de résolution présenté dans l’après-midi par les Etats-Unis. Car, selon lui, « il n’y a aucun doute possible quant aux personnes qui ont perpétré cette nouvelle attaque chimique ».
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En février dernier, après une attaque au chlore présumée à Douma, le diplomate français rappelait par exemple « que le régime syrien a déjà été identifié comme responsable dans quatre cas, dont un cas d’utilisation de sarin, en violation du droit international humanitaire et des engagements pris par la Syrie lorsqu’elle a adhéré à la Convention d’interdiction des armes chimiques » en 2013. Et d’après l’ONG Human Rights Watch (HRW), l’armée de Bachar al-Assad a eu recours à de telles armes à 85 reprises depuis 2013 contre des populations civiles ; il y a tout juste un an, l’attaque au chlore de Khan Cheïkoun, faisant plus de 80 morts, avait d’ailleurs entraîné des frappes américaines sur une base syrienne.
« Coopération à la carte avec l’OIAC »
Pour beaucoup, la question qui se pose, après l’attaque de samedi dernier, n’est pas de savoir si réponse il doit y avoir, mais quelle forme doit prendre cette réponse. Car la France, tout comme les Etats-Unis, ont toujours estimé que le recours aux armes chimiques de la part du régime syrien constituait une « ligne rouge » au-delà de laquelle une intervention était nécessaire. Tandis que Jean-Yves Le Drian, le ministre français des Affaires étrangères, a confirmé que Paris « assumera toutes ses responsabilités au titre de la lutte contre la prolifération chimique », le patron de l’ONU, Antonio Guterres, a exigé « une enquête approfondie de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC), sans restriction ni obstacles. »
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Celui-ci d’ajouter qu’il encourageait « le Conseil de sécurité à redoubler d’efforts pour convenir d’un mécanisme spécifique de responsabilisation », rejoignant ainsi sur ce point les Etats-Unis et la France. Problème : en novembre dernier, alors que l’OIAC et l’ONU, au sein du Mécanisme conjoint d’enquête (JIM), cherchaient à établir les responsabilités des attaques chimiques, la Russie, indéfectible soutien de Damas, a posé son veto au renouvellement de leur mandat. Et il y a de fortes chances que Moscou récidive aujourd’hui pour bloquer le projet de résolution présenté par Washington. Ceci, évidemment, afin de protéger le régime de Bachar al-Assad, dont « la coopération avec l’OIAC se fait à la carte depuis des mois » rappelait M. Delattre en février dernier.
« Recours à la force »
« Sur le front diplomatique, le Conseil de sécurité de l’ONU est bloqué par la Russie qui […] opposera inévitablement son veto à toute tentative de sanctionner légalement Damas » estime le Monde dans son éditorial du jour. « Une fois cette voie épuisée, Français et Américains devront donc agir de leur propre initiative, peut-être avec l’appui des Britanniques. » Une réponse armée est-elle dès lors envisageable ? Le secrétaire à la Défense américain, Jim Mattis, a précisé qu’il voulait « s’occuper du problème […] en coopération avec nos alliés et nos partenaires, depuis l’OTAN jusqu’au Qatar », alors qu’il recevait au Pentagone l’émir qatari, Cheikh Tamim ben Hamad al-Thani.
C’est que la région, « première poudrière du monde » s’il en est, est aujourd’hui traversée d’instabilités et de tensions. « Les Etats-Unis doivent faire très attention à ne pas frapper des cibles russes ou tuer des conseillers russes, ce qui limite considérablement le nombre de leurs options, car les Russes sont très souvent intégrés aux troupes syriennes » a expliqué à l’AFP Ben Connable, un expert du centre de réflexion américain Rand. L’ambassadeur russe à l’ONU, Vassili Nebenzia, n’a d’ailleurs pas dit autre chose, hier : « Nous avons déjà informé la partie américaine qu’un recours à la force […] contre la Syrie, où se trouvent des militaires russes […], pourrait conduire aux conséquences les plus graves ».
« Frappes de missiles de croisière »
Sauf qu’à plusieurs reprises, déjà, les diplomaties américaine et française ont louvoyé sur la réponse à apporter aux attaques chimiques perpétrées en Syrie. N’agissant, en fin de compte, pas et perdant en crédibilité. La raison pour laquelle certains estiment qu’ils doivent intervenir cette fois-ci. Marie Peltier, historienne et spécialiste de la Syrie, exigeait par exemple, dimanche, « une réaction en actes » de la part d’Emmanuel Macron ; pour Olivier Lepick, chercheur associé à la Fondation pour la recherche stratégique et spécialiste des armes chimiques, « il en va de la crédibilité de la parole présidentielles, de la diplomatie française et de notre politique extérieure. »
L’expert d’avancer au Huffington Post que la « réaction » occidentale pourrait être « des frappes de missiles de croisière ou des frappes aériennes ». Bien qu’ « à titre personnel, je pense que l’étape logique voudrait que, plutôt que bombarder des infrastructures dont le régime n’a pas grand chose à faire […], la prochaine étape devrait être de cibler par des frappes sélectives les hiérarques du régime. » Car, pour mémoire, le bombardement de la base syrienne par Washington, l’an dernier, n’avait pas fait grandement réagir Bachar al-Assad. Si ce n’est que ce dernier avait poursuivi les frappes chimiques, comme l’ont rapporté diverses ONG syriennes. Donald Trump, d’ailleurs, doit annoncer très prochainement ses intentions. La diplomatie ou la force ?

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