Chute des prix du pétrole : le Covid-19 causera davantage de faillites de pays qu’il ne tue

Selon le FMI, les PIB réels des pays MENA exportateurs de pétrole se sont contractés de 4,2 % en 2020.

La crise actuelle vient de sonner le glas des croyances conventionnelles au sujet de l’incapacité des ressources pétrolières à soutenir la demande croissante de l’économie mondiale en hydrocarbures. Depuis plusieurs décennies, de nombreux experts prévoyaient le déclin de la production pétrolière, à l’instar de la théorie du « Pic Pétrolier » de Marion King Hubbert en 1956. L’épidémie de coronavirus vient de nous prouver le contraire.

Avant la crise du Covid-19, la consommation mondiale totalisait environ 100 millions de barils par jour. Actuellement, la baisse de la demande est estimée à environ 29 millions de barils par jour (entre avril 2019 et avril 2020). Pour mettre cela en perspective, durant la crise de 2008, la demande pétrolière avait baissé d’environ 5 millions de barils par jour.

A la suite de cette chute brutale de la demande en raison de la crise sanitaire, les 13 membres de l’OPEP, qui représentent près de 80 % des réserves mondiales de pétrole, ont convenu de réduire la production pour assurer une certaine stabilité des prix.

Guerre des prix

L’alliance OPEP+ (ou OPEC+ dans sa forme anglophone), également appelée « Groupe de Vienne », est formée de 24 pays producteurs de pétrole – les 13 pays de L’OPEP ainsi que 11 autres pays exportateur de pétrole comme la Russie, le Mexique et le Kazakhstan -, dans le but de stabiliser la production et le prix du pétrole. L’OPEP contrôlent environ 35 % de la production mondiale et 80 % des réserves prouvées. Avec la création de l’OPEP+, les parts de marché ont augmenté respectivement à 60 % et 90 %, niveau encore jamais atteint auparavant.

La Russie, qui fait partie de cette alliance plus large appelée OPEP+, a refusé de réduire de manière significative sa production sur une période plus longue. L’Arabie saoudite a répliqué en augmentant sa propre production. Ce qui a enclenché une guerre des prix, les tirant à la baisse, avant d’entraîner l’effondrement du marché boursier. En avril, après l’intervention du président américain Donald Trump, Moscou et Riyad ont finalement mis fin à leur guerre des prix pour réduire l’excédent pétrolier mondial en pleine expansion.

L’OPEP+ a accepté de réduire la production de plus de 2 millions de barils d’ici la fin de 2020. Néanmoins, cette baisse n’a pas empêché la chute des prix. Le WTI, le brut de référence américain, est devenu négatif pour la première fois dans l’histoire le 20 avril 2020. En effet, cette baisse des prix a eu des effets néfastes sur l’économie mondiale, et en particulier sur les pays exportateurs du pétrole, dont la majeure partie des revenus dépendent des recettes pétrolières.

Commencement de la contagion

La plupart des producteurs de pétrole de schiste ne peuvent pas survivre à un prix inférieur à 30 dollars. De plus, le niveau des prix actuels, en dessous des 30 dollars, est destructeur pour la plupart des pays membres et surtout pour les compagnies pétrolières qui réduisent massivement les investissements prévus. L’avenir est d’autant plus incertain que la demande mondiale continue de s’effondrer. Les Américains se rapprochent encore une fois des Saoudiens pour les persuader d’arrêter cette guerre des prix.

Cette dernière n’arrange pas la situation économique des producteurs de pétrole américains. Il est clair que sous la présidence de M. Trump, le marché pétrolier américain a connu un boom, profitant des courbes de production de l’OPEP+. En 2019, les Etats-Unis devenaient le premier pays producteur de pétrole, avec une extraction d’environ 13 millions de barils par jours. Mais aujourd’hui, des dizaines de petites et moyennes compagnies pétrolières américaines sont confrontées à la faillite, alors que les capacités de stockage s’épuisent et les puits sont fermés.

De plus, l’inquiétude quant à la déstabilisation des prix a été remplacée par le risque d’une baisse durable de la demande, car la conjoncture sera en partie suivie par une baisse de la demande, voire le renforcement des politiques de transition énergétiques et le recours à des énergies alternatives au détriment des énergies fossiles.

Des pays plus fragiles que d’autres

Le danger économique entraîné par la pandémie de coronavirus, à présent, est exponentiellement plus grand que les risques sanitaires que le virus fait courir à certains pays – en particulier les pays fortement dépendant de la rente pétrolière. Même si certains pays, comme la Norvège, l’Arabie saoudite, le Koweït et la Russie, disposent encore d’une marge de manœuvre budgétaire suffisante pour maintenir les dépenses publiques jusqu’en 2021. Et ce malgré l’effondrement des recettes publiques.

D’autres pays producteurs de pétrole comme l’Iran, le Venezuela, l’Irak, le Nigeria et l’Algérie, pourraient se retrouver en manque de liquidités, avec des conséquences, notamment, sur leur système de santé, l’emploi, la baisse de la demande, le resserrement des conditions financières, etc. Le spectre d’un scénario d’effondrement de certaines de ces économies non diversifiées et avec des bilans économiques mitigés est plus présent que jamais. 

Déjà étranglés par les sanctions internationales et la forte pression exercée par les Américains, l’Iran et le Venezuela sont en ébullition. Il en va de même pour l’Algérie et l’Irak, dont la caractéristique principale et la quasi-dépendance aux recettes pétrolières. Pour le Venezuela, la crise pandémique peut aggraver la situation économique qui traverse une crise structurelle. La situation en Iran est différente, avec un secteur des hydrocarbures représentant 80 % des exportations, où les autorités avaient déjà prévu une baisse des exportations en raison des sanctions économiques imposées par les Etats-Unis.

En plus de la crise économique, l’Algérie et l’Irak sont quant à eux secoués par des mouvements de contestation sociale depuis plusieurs mois. En Algérie, le « Hirak » (« mouvement » en arabe) a débuté le 16 février 2019, mais le Covid-19 a eu raison, au moins temporairement, des contestations, le 20 mars 2020, premier vendredi sans manifestation depuis plus d’un an. Alors que le projet de finances 2020, en Algérie, a été établi sur un prix de référence à 60 dollars le baril, la chute des prix entraîne un manque à gagner conséquent. Pour rappel plus de de 90 % des recettes extérieures proviennent de l’exportation d’hydrocarbures. Quant à l’Irak, qui a doublé sa production depuis l’invasion américain, devenu le quatrième producteur mondial, il risque de subir de nouvelles turbulences, accentuées par la lutte d’influence entre l’Iran et les Etats-Unis.

Pour l’instant, il n’existe pas de données précises sur les conséquences économiques du coronavirus dans les pays africains. Une chose est sûre : les pays producteurs de pétrole seront les plus touchés. Le Nigeria, avec une économie liée à 95 % au pétrole, envisage de revoir son budget à la baisse. Cette situation s’applique aussi à l’Angola, à l’Egypte et au Soudan, des pays frappés par le syndrome de la dépendance aux ressources pétrolières. Et qui n’ont pas réussi, malgré plusieurs politiques de réformes et initiatives, à diversifier leurs économies et à mettre en place de nouveaux modèles. Les relations élargies avec la Chine ont également engendré un développement de plusieurs zones économiques et des flux d’investissements importants.

Des pays comme le Mali et le Burkina Faso, dont les économies dépendent des exportations agricoles, ont été affecté par la chute brutale des cours mondiaux des matières premières. Ces pays n’ont pas beaucoup de marge de manœuvre ; ils doivent attendre la reprise de l’activité économique mondiale. La Conférence de Nations unies pour le commerce et le développement (CNUCED) estime que des pays Africains, comme la Guinée équatoriale, la République du Congo et le Gabon, qui ne sont pas de grands exportateurs en volume, risquent aussi d’être touchés par cette éventuelle baisse du commerce extérieur.

Reprise de l’économie mondiale

Dès lors, dans la perspective d’un scénario rapprochant l’Afrique de la « ligne rouge », certaines voix s’élèvent pour demander un allégement ou une annulation de la dette africaine. Le Sénégal, par exemple, a demandé aux partenaires commerciaux de l’Afrique d’accompagner la résilience du continent en annulant sa dette. Une protestation qui trouve un écho favorable à la CNUCED, qui se dit « complètement d’accord ». Le Fonds monétaires international a quant à lui débloqué 10 milliards de dollars à taux zéro pour les pays africains majoritairement. « Il est évident que nous donnons la priorité aux pays d’Afrique qui ont déjà été confrontés à des difficultés », a déclaré le 4 mars Kristalina Georgieva, la directrice générale du FMI.

Quant aux pays non producteurs d’hydrocarbures, pas sûr qu’ils soient à l’abris, puisque même s’ils n’exportent pas d’hydrocarbures, ils vendent tout de même d’autres matières premières. C’est le cas de la République démocratique du Congo (RDC), la Zambie et l’Afrique du Sud par exemple. Un autre choc proviendra de la baisse des recettes touristiques. Cela handicapera des pays comme le la Tunisie ou le Maroc, où le tourisme représente environ 10 % du PIB, avec un pourcentage équivalent en termes d’emploi.

Selon le FMI, les PIB réel des pays MENA exportateurs de pétrole s’est contracté de 4,2 % en 2020. Globalement, cette crise pourrait coûter entre 5 à 10 points de croissance au pays africains cette année (entre 130 à 150 milliards de dollars). Les mesures de restrictions prises ces dernières semaines, notamment la fermeture des frontières ou encore la suspension des vols à l’international, font aussi baisser les échanges et limiter les transferts de devises provenant de la diaspora.

Pour l’instant, il est difficile de prédire la fin de cette situation. Grâce à une forte reprise de l’économie mondiale, après la crise du coronavirus, la demande pétrolière pourrait être susceptible de s’envoler, ce qui entraînerait une plus grande volatilité. Mais nous ignorons tout simplement quand la reprise aura lieu et quelle sera sa nature et son rythme.

 

Fateh Belaïd, professeur d’économie à la Faculté de Gestion, d’Economie et des Sciences, Université catholique de Lille.

Khaled Guesmi, professeur à la Paris School of Business et directeur du Centre de recherche sur l’énergie et le changement climatique (CRECC).

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