Émirats arabes unis : dans la tempête du Covid-19

Face à la crise sanitaire, les Émirats arabes unis font partie des bons élèves, dont la gestion de crise a été saluée à l’international.

Contexte sanitaire oblige, le premier article de notre série consacrée aux Émirats arabes unis s’intéresse à la gestion de la crise du Covid-19. Globalement réussie, elle s’est directement inspirée de l’expérience acquise lors des précédentes épidémies de MERS-CoV et SARS-CoV avec, en ligne de mire, une campagne massive de testing et une vaccination des populations à marche forcée. Un défi dans un pays dont l’ouverture internationale est la clef de la réussite économique et marqué par la surreprésentation des populations migrantes. Mais surtout, une gestion qui s’inscrit dans la quête d’une volonté de puissance régionale.

Confinement, testing, amendes dissuasives : la recette des Émirats arabes unis

Les Émirats arabes unis ont très rapidement su endiguer la diffusion de l’épidémie, grâce à de très strictes contraintes sanitaires. Des restrictions radicales, mais limitées sur une courte durée -pas plus de quatre semaines-. Le 3 mars 2020, les écoles ferment. Une décision cependant insuffisante pour contenir la -petite- poussée épidémique. 140 cas et 2 morts suffisent au pays pour se barricader. Le 19 mars, les Émirats arabes unis interdisent l’entrée sur leur territoire aux expatriés non-résidents et aux touristes. Le 24 mars, les vols sont suspendus et un confinement pur et dur se met en place avec, pour les déplacements, la mise en œuvre d’un « permis de circuler ». Les premiers centres de test à grande échelle sont installés dès le 29 mars, avec la gratuité garantie pour les profils à risque. Des infrastructures de désinfection des habits, dont l’utilité est, avec le recul, très relative, sont aussi installées dans certaines zones de passage. À la fin du mois d’avril, les mesures s’adoucissent pour faciliter la bonne tenue du mois de ramadan. Pour assurer la discipline collective, les Émirats ont, pour les réfractaires, mis en place des amendes extrêmement dissuasives.

Après un été globalement très calme, la pandémie a connu une -petite- flambée avant de se stabiliser entre octobre à décembre 2020 à des niveaux modérés. En janvier, le pays connaît un nouveau mois de hausse puis une chute rapide des contaminations à partir de février et une stabilisation de l’épidémie autour de 1800 cas par jour depuis. L’une des réussites du pays a, sans doute, été sa capacité à très fortement limiter le nombre de décès, là où les hôpitaux et les morgues s’emplissaient inexorablement en Occident, causant la saturation des services de santé et l’allongement des mesures de restriction. Au total, le pays compte à peine plus de 1 500 décès -selon les sources officielles- depuis le début de la pandémie. Un chiffre très faible par rapport aux 10 millions d’habitants du pays. Et surtout, un véritable tour de force dans un État où 9 habitants sur 10 sont des étrangers. L’importation et la diffusion du virus dans les communautés migrantes, dont la vie en promiscuité et dans des conditions d’hygiène parfois relatives, auraient pu entraîner une hécatombe dans ces populations. Mais, pandémie oblige, « leurs soins ont été entièrement couverts. Ils ont été soignés comme le reste de la population » explique la docteure Rana Hajjeh, directrice de la gestion des programmes au sein du bureau pour la Méditerranée orientale de l’OMS pour l’Orient-le Jour.

Un bon bilan humain dont peut aussi se targuer l’Arabie saoudite, qui ne comptabilise « que » 7 000 morts. Mais le contrôle de la pandémie n’a pas été une caractéristique systémique des pays du Golfe. « Dans les autres monarchies du Golfe, le résultat est plus mitigé malgré le couvre-feu et les campagnes de vaccination, l’épidémie reste encore à des niveaux élevés à Oman ou au Koweït », explique François-Aïssa Touazi, cofondateur du think tank CAPmena et ancien conseiller Afrique du Nord et Moyen-Orient au Ministère des Affaires étrangères. Avec plus de 1300 cas par jour pour le Koweït et 900 pour Oman, les deux pays sont actuellement au cœur d’une nouvelle vague, qu’ils ont bien du mal à endiguer.

Quels ont été les secrets de la réussite émiratie ? « Ils ont beaucoup testé avant même la campagne de vaccination », explique François-Aïssa Touazi. En janvier 2021, 1 million de tests avaient été réalisés dans le pays. « Les autorités ont réussi à agir rapidement et à identifier l’environnement de la personne malade, à boucler la zone, etc. Cette stratégie du verrouillage partiel est l’une des plus efficaces » abonde la docteure Rana Hajjeh. Mais c’est sans doute la campagne de vaccination, massive et volontariste, qui a pu changer la donne. Entre le 10 janvier et le 20 avril, les Émirats ont vacciné 51,4 % de leur population, en faisant, aux côtés d’Israël, des Seychelles, du Chili ou du Bhoutan, l’un des pays les plus vaccinés au monde. Et, face aux éventuels retardataires ou méfiants, des menaces de restriction pour les non-vaccinés, notamment dans l’accès à certains lieux publics.

Contrairement aux pays occidentaux, les Émirats arabes unis ont pu s’appuyer sur leurs investissements d’infrastructure dans la santé, réalisés à marche forcée depuis plus de deux décennies après les expériences plus ou moins meurtrières du SRAS en 2003 et du Mers-COV en 2012. Pendant la majeure partie de l’épidémie, les frontières sont restées ouvertes, entraînant un flot touristique ininterrompu venu notamment des États européens, restés sous restriction.

Diplomatie vaccinale et quête d’influence

Pour les Émirats, la gestion de la crise a été synonyme de publicisation de sa volonté de puissance. En s’engageant notamment dans une démarche humanitaire, qui « s’inscrit dans le fil de la stratégie globale affichée par les dirigeants » affirme Marc Lavergne, directeur de recherche émérite au CNRS dans La Croix. 20 000 doses de Sputnik V ont ainsi été transmises à Gaza en février 2021, 500 000 à l’archipel des Seychelles dès janvier et quelques centaines à la Tunisie en mars. Le soutien humanitaire s’était déjà manifesté dans le cadre de l’action globale du Programme Alimentaire mondial, auxquels les Émirats arabes unis ont contribué en expédiant du matériel médical aux pays en développement.

Le positionnement sur la production nationale à grande échelle du vaccin chinois, renommé pour l’occasion Hayat-Vax, relève aussi de la stratégie de conquête régionale des Émirats et de son influence grandissante dans les pays du Sud. C’est l’un de ses fleurons industriels dédiés aux nouvelles technologies, le Group 42, dirigé par l’un des frères cadets du prince héritier, qui sera en charge de son industrialisation. L’objectif, ambitieux, prévoit la production de 75 à 100 millions de doses par an. Un processus naturel pour le pays, selon François-Aïssa Touazi, qui explique que les Émirats ont « ont de plus en plus la volonté de se positionner sur l’innovation, les nouvelles technologies, l’intelligence artificielle à travers des coopérations internationales. » Et qui témoigne aussi du rapprochement croissant entre la Chine et les Émirats, qui se concrétise aussi dans d’autres domaines technologiques, tout aussi porteur.

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