Après 5 semaines d’assaut sur Idlib, le régime syrien « vise tout », selon un chirurgien cité par Associated Press.
« Mêmes les guerres ont des règles ». Cette phrase, implacable et froide – réaliste, en d’autres termes -, prononcée par Misty Buswell, directrice du plaidoyer au Moyen-Orient pour l’International Rescue Committee (IRC), au sujet de la guerre en Syrie, est passée largement inaperçue. Pourtant, elle doit interroger. Parce qu’elle charrie tout le cynisme qui enveloppe les affrontements armés depuis que la guerre n’est plus l’unique moyen de la politique. Cynisme qui oblige, dans la forme, à s’élever contre un mode de résolution des conflits totalement passé – comme le font la grande majorité des associations et organisations humanitaires -, tout en le justifiant, au fond, à la manière d’un Clausewitz contemporain.
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Misty Buswell avait-elle des raisons (déraison ?) de prononcer ces mots ? Oui. Et non. Oui, parce que quelques heures plus tôt, des frappes aériennes conduites par les Russes, dans la région d’Idlib (nord-ouest de la Syrie), avaient visé deux hôpitaux. Prolongeant ainsi l’entreprise de reconquête de la zone par l’armée de Bachar al-Assad, loin de faire dans la dentelle, puisque depuis début avril, plus de 300 civils ont été tués, tandis que 700 000 personnes pourraient être déplacées par les affrontements. « Même les guerre ont des règles », soufflait-elle donc à MM. Poutine et Al-Assad. Des mots qui, d’un autre côté, sont venus rappeler qu’au 21ème siècle, la guerre demeure cet « autre moyen de faire de la politique » si cher au théoricien prussien. Des mots, en d’autres termes, qui ne devraient plus exister.
« Règle médiatique »
Pourtant, les faits sont là. Après 5 semaines d’assaut sur l’ultime bastion rebelle de Syrie, le régime syrien, qui tente officiellement de déloger les derniers djihadistes de la zone, « vise tout », selon un chirurgien cité par Associated Press (AP). Boulangeries, hôpitaux, marchés. L’objectif de Damas est-il de mettre fin à tous les services aux civils ? Vraisemblablement. Diana Samaan, chercheuse syrienne chez Amnesty International, estime que Damas a adopté une « tactique pour faire pression sur les civils afin qu’ils succombent ». En visant sciemment les centres de soin, notamment, alors que « 32 hôpitaux autour de l’enclave ont été mis hors service, soit parce qu’ils ont été frappés, soit parce qu’ils ont suspendu leurs opérations de peur d’être touchés », renseigne Sarah El Deeb, journaliste à AP.
« Mêmes les guerres ont des règles » ? Pas pour Damas, visiblement. Ou alors des règles propres. Le régime syrien justifiant parfaitement les bombardements aveugles conduits par l’aviation russe, grâce à un tour de passe-passe sémantique désormais connu : « Les rebelles retranchés à Idlib sont tous terroristes », selon lui. Combien de temps Bachar al-Assad pourra-t-il encore fixer ses propres limites – c’est-à-dire aucune ? Najat Rochdi, une conseillère humanitaire de l’envoyé spécial des Nations unies (ONU) en Syrie, a averti vendredi dernier que la lutte contre le terrorisme « n’absout » aucune partie des attaques « gratuites » contre les civils. Mais les mots, comme souvent, glissent.
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Les maux, quant à eux, s’amoncellent. Pertes humaines, personnes déplacées en masse, conditions de travail désastreuses pour les personnels humanitaires. A quoi il faut ajouter l’augmentation du prix des matières premières, en raison des sanctions occidentales surtout, que les Syriens retranchés à Idlib ne supportent plus. Problème : le conflit, qui dure depuis 2011, n’intéresse plus, comme le regrettait il y a quelques jours le politologue Philippe Droz-Vincent dans une tribune au Monde. Sans doute la « règle médiatique » de la longévité. Bien appliquée quant à elle.
