La Jordanie va-t-elle tirer les enseignements de la grogne populaire ?

Un mois après des manifestations d’ampleur, les citoyens espèrent que le royaume va réagir.

Un mois après une gronde sociale d’ampleur, le gouvernement jordanien ne peut plus faire comme s’il ne savait pas : les citoyens désirent du changement. Le plus rapidement possible, de préférence. Début juin dernier, pour mémoire, les Jordaniens ont occupé les rues des plus grandes villes du royaume, dont celles de la capitale, Amman, pour protester contre leurs conditions de vie, ainsi qu’une réforme fiscale indésirable. Résultat : le Premier ministre d’alors, Hani al-Mulki, a présenté sa démission et son remplaçant, Omar al-Razzaz, a affirmé qu’il retirerait la loi fiscale controversée.

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Outre une situation socio-économique friable révélée, les contestations sociales du mois dernier ont été le moyen, pour la Jordanie, de jauger son importance et l’état de ses relations dans la région. L’Arabie saoudite, les Emirats arabes unis et le Koweït, mais également l’Union européenne (UE), se sont dépêchés pour venir en aide au gouvernement jordanien, lui promettant des enveloppes de 2,5 milliards de dollars – pour les trois pays de la Péninsule arabique – et 20 millions d’euros – pour Bruxelles. Cette dernière étant par exemple destinée, selon la Commission, à des projets en faveur « des plus vulnérables ».

« Changement complet et substantiel »

A l’époque, Oraib al-Rintawi, directeur du centre al-Qods pour les relations stratégiques à Amman, joint par l’AFP, avait estimé que cet empressement des pays arabes à supporter le royaume – d’habitude si calme – de Jordanie, était davantage dû à la crainte de voir « ressurgir l’esprit du Printemps arabe, provoquant un vent de panique parmi les pays du Golfe ». La stabilité de la Jordanie est « fondamentale pour la sécurité de la région, du Golfe et de l’Arabie saoudite qui a peur d’un effet domino entre monarchies » indiquait-il alors. Riyad craignait effectivement qu’Amman ne se rapproche un peu plus de Doha, voir de Téhéran, son ennemi juré dans la région.

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Oussama al-Sharif, journaliste et commentateur politique basé dans la capitale jordanienne, estime à présent que « l’élite politique jordanienne n’a qu’une seule question en tête : le nouveau Premier ministre […] pourra-t-il tenir sa promesse de conclure un nouveau contrat social entre les citoyens et l’Etat ? » C’est effectivement la question qu’un grand nombre d’observateurs – à l’extérieur comme à l’intérieur du royaume – se pose : la Jordanie saura-t-elle tirer les leçons des manifestations populaires de juin dernier ? Car « ce que des dizaines de milliers de manifestants réclamaient [c’est] un changement complet et substantiel dans la gestion des affaires de l’Etat » estime Oussama al-Sharif.

« Contrat social »

C’est ainsi que l’entendait, d’ailleurs, le roi Abdallah, (encore) adulé par une large frange de la population, dans sa lettre adressée au nouveau Premier ministre pour sa prise de fonctions. Le monarque appelait ce dernier à lancer une « renaissance » et à mener des réformes dans le but de « délimiter la relation entre les citoyens et l’Etat à travers un contrat social clair qui identifie les droits et les devoirs ». Des mots parfaitement reçus par la population jordanienne. Pour M. Al-Sharif, « la référence à un contrat social a fait naître l’espoir que la volonté politique nécessaire pour [changer le cours de la gestion de l’Etat] était maintenant disponible ».

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Le 24 juin, devant la Commission jordanienne d’intégrité et de lutte contre la corruption, Omar al-Razzaz a, de son côté, mentionné la « renaissance nationale globale » et la confiance entre les citoyens et les institutions qu’il devait nécessairement instaurer. Y parviendra-t-il ? « Razzaz, qui détient un doctorat en planification économiques de l’Université de Harvard, est considéré comme un réformateur et un homme ayant une vision économique » renseigne Oussama al-Sharif. Qui rappelle également que, « parmi les défis auxquels son gouvernement est confronté, il doit faire face à un taux de chômage de 18 % [et] une dette publique équivalant à 95 % du PIB. »

Attentes élevées suscitées

Le nouveau chef du gouvernement devrait ressortir les éléments de réformes qu’il avait mentionnés en 2012, lorsqu’il avait rédigé un document pour le Centre arabe de recherche et d’études politiques. Avec, entre autres clés, la transformation d’un « Etat rentier » en une nation « productive », ainsi qu’un Etat civil durable qui emploie le plein potentiel de ses citoyens et leur accord leurs droits et liberté. Omar al-Razzaz, qui n’a pas encore présenté son programme à la chambre basse du parlement – celle-ci devrait se réunir en juillet – cherche pour l’instant à obtenir un vote de confiance. Une première étape nécessaire dans son entreprise de « renaissance nationale globale ».

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Il est cependant « douteux que Razzaz et son équipe de 28 membres, qui comprend 15 ministre du cabinet précédent, seront en mesure de répondre aux attentes élevées qui ont été suscitées » craint Oussama al-Sharif. « Bien que [le Premier ministre] ait renversé certaines des décisions impopulaires du gouvernement précédent, […] il devra toujours se conformer à l’accord que le royaume avait conclu avec le Fonds monétaire international en 2016 et qui a forcé le gouvernement du Mulki à adopter ces décisions ». Il est vrai que les manifestations populaires étaient aussi bien tournées contre le gouvernement que contre l’institution financière internationale.

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