Corruption : l’Irak vit son casse du siècle

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10.11.2022

Le casse du siècle dans un pays déjà saigné à blanc par la corruption. Les investigations menées par le ministère irakien des Finances ont conclu qu’entre septembre 2021 et août 2022, l’équivalent de 2,5 milliards de dollars américains -3 700 milliards de dinars irakiens- aurait été détourné des caisses de l’État au profit d’une poignée de hauts fonctionnaires. Certes hors-norme, ce nouveau cas de prédation ne surprend plus en Irak, classé à la 157ème place du classement Transparency International de perception de la corruption.

En prenant de la hauteur, les chiffres de la corruption en Irak donnent le tournis et transforment le dernier scandale en date en une goutte d’eau dans un océan de détournements de fonds. Selon les chiffres officiels communément rapportés et possiblement sous-estimés, plus de 410 milliards de dollars auraient été détournés des caisses de l’État depuis la chute du dictateur Saddam Hussein et l’intervention américaine en Irak en 2003, soit l’équivalent d’environ 5 années du budget public du pays. Un gouffre d’autant plus profond qu’une grande partie des populations irakiennes ne bénéficie que d’un accès limité aux services publics les plus essentiels et que la reconstruction du pays, en partie détruit par la guerre contre l’État islamique et les bombardements, nécessite un afflux massif de liquidités. Il y’a une dizaine d’années, les spécialistes du secteur évaluaient ainsi le coût de la reconstruction à 600 milliards d’euros. Et ce, avant l’avènement de l’État islamique qui a lui aussi amené son lot de destructions.

Cinq sociétés impliquées, 250 chèques encaissés et plusieurs cadres de l’administration fiscale arrêtés

Les résultats de l’enquête menées ces derniers mois par les fonctionnaires du ministère irakien des finances ont démontré que cinq sociétés, dont trois ont été créées un mois à peine avant le début des opérations, ont été payées par près de 250 chèques émis par l’administration fiscale irakienne et directement encaissés par ces entreprises. Un processus parfaitement illégal et qu’aucune prestation ne justifiait, selon le média kurde Rudaw, à l’origine des révélations. Les affirmations des journalistes ont entraîné l’ouverture d’une enquête pénale et l’émission de plusieurs mandats d’arrêt contre les responsables de ces sociétés ainsi que plusieurs fonctionnaires. En conséquence, plusieurs cadres dirigeants de l’administration fiscale ont ainsi d’ores et déjà été démis de leur fonction, dont le président de la direction des impôts du pays. Un petit exploit car les sanctions pour faits de corruption concernent le plus souvent des fonctionnaires intermédiaires, épargnant ainsi les dirigeants des administrations visées.

Et pourtant, les membres des différents gouvernements font très souvent l’objet d’accusations de corruption. L’ancien ministre des Finances du pays Ali Allawi, l’un des cœurs de la corruption endémique qui touche le pays, a ainsi été limogé en septembre dernier du fait de forts soupçons de corruption, tandis que Abdel Jabbar, ministre du pétrole du pays est quant à lui aussi accusé de … corruption par le congrès américain. Un puit sans fond auquel les autorités compétentes avouent ne pas pouvoir faire face : « il n’y a rien à faire. Rien ne changera. Lutter contre la corruption, c’est lutter contre l’impossible. Si aujourd’hui je vous donne les chiffres exacts et les noms des personnalités impliquées dans la corruption, demain je serai mort. Je suis désolé, mais cela est notre réalité », déclarait ainsi Machan al-Joubouri, président de la commission anti-corruption du pays, dans des propos rapportés par le Centre français de recherche sur l’Irak.

L’une des conséquences les plus visibles de cette situation est l’exode massif des populations, notamment des jeunes générations, épuisées par les conséquences socio-économiques de la corruption. Avec, pour conséquence directe, la crise migratoire kurde qui a entraîné, en 2021, de vives tensions entre la Pologne et la Biélorussie. Dans la province du Kurdistan, qui jouit d’une très large autonomie, la famille Barzani, qui occupe les postes-clés de l’exécutif local, disposerait d’une immense fortune, largement héritée de la fraude et de la corruption, selon les révélations du média The American Prospect, mais aussi de leur mainmise sur les principales entreprises de la province. Le clan Barzani est notamment, en France, connu pour avoir orchestré l’expropriation de Korek Telecom, en partie rachetée par Orange et le koweitien Agility Public Warehousing en 2011, sur fond de forts soupçons de corruption des membres de l’autorité de régulation des télécoms irakienne.

La fin du système confessionnel réclamé par les populations

Parmi les pistes évoquées pour en finir avec ce fléau, la fin du système de partage confessionnel du pouvoir politique, mis en œuvre sous influence américaine, divisant le pouvoir entre les musulmans chiites, les sunnites, les Kurdes et de manière très marginale, les minorités. L’abolition de ce système a d’ailleurs été réclamé par les manifestants de la révolution d’Octobre, née en 2019 à Bagdad et dans le sud chiite du pays, où le système confessionnel est perçu comme une source de corruption et de clientélisme. Les élites des différentes confessions et ethnies se partagent en effet le gâteau de l’immense rente pétrolière dans un pays où la redistribution des richesses du sous-sol relève du vœu pieux. Entre 2003 et 2021, 150 milliards de dollars de recettes pétrolières auraient été volés dans des contrats frauduleux, estime ainsi l’ancien président Barham Saleh, alors même que le pays est classé second exportateur des membres de l’OPEP.

 

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