Pétrole et climat, l’inextricable équation

Plutôt que de taper sur les producteurs d’or noir, ne faudrait-il pas les encourager à se réorienter vers des filières plus vertueuses ?

Cette semaine, la COP24 (Conférence internationale sur le climat), qui se tient du 2 au 14 décembre à Katowice, en Pologne, va se conclure. Et il y a fort à parier, trois ans après la signature heureuse de l’Accord de Paris, au terme de la COP21, que les sourires d’alors ne seront pas de mise cette fois-ci. Non pas que l’édition 2018 de ce grand raout international ait été avare d’annonces positives. La Banque mondiale, par exemple, devrait ainsi débloquer 200 milliards de dollars entre 2021 et 2025 pour le climat – soit deux fois plus que l’engagement pris en 2015. L’Allemagne, également, s’est engagée à doubler sa participation au Fonds vert pour le climat l’an prochain (1,5 milliard d’euros).

Mais, s’il faut se féliciter de la moindre action (effectuée ou annoncée) en faveur de la planète, il convient, d’un autre côté, de porter un regard global et lucide sur le cours actuel des choses. Qui ne dit pas grand chose de bon.

Tout le monde sait que les grandes décisions, auxquelles les Etats sont irrémédiablement liés, résultent de petits compromis. Autrement dit : les révolutions ne s’inscrivent pas dans le marbre des grands rassemblements, comme les « COP », mais plutôt sur de petites feuilles A4, en comité (très) restreint – que l’on appelle « contrats ». La preuve avec la dernière étude du Global Carbon Project, rendue publique mercredi 5 décembre à Katowice, qui témoigne d’une évolution des émissions de CO2 de plus de 2 % en 2018, alors que l’Accord de Paris, adopté à l’arrachée mais en grande pompe, exigeait une diminution des rejets carbones dans l’atmosphère dans les années à venir. Perdu donc. Selon l’Organisation météorologique mondiale (WMO), le thermomètre mondial devrait ainsi osciller entre +3 et +5 °C d’ici la fin du siècle.

Produits pétrochimiques

L’objectif de la COP21, qui tablait sur une hausse du mercure de +2 °C maximum (+1,5 °C au mieux), peut-il encore être atteint ? Difficile à dire. Mais pour l’instant, les Etats n’en prennent absolument pas le chemin. La raison ? Les économies nationales demeurent globalement bien trop carbonées. Ceci étant dû, notamment, à la croissance soutenue de pays comme la Chine (premier émetteur de CO2 cette année) et l’Inde (pas loin derrière), les deux premiers consommateurs mondiaux de charbon, mais également à la hausse des ventes de voitures en 2018 et, bien évidemment, au poids du pétrole, désastreux pour le climat comme pour l’environnement, dans l’économie mondiale. Selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE), la demande mondiale de pétrole devrait augmenter de 10 millions de barils par jour d’ici 2030. Ceci, notamment, « grâce » au secteur des produits pétrochimiques, qui auront « une plus grande influence sur l’avenir de la demande de pétrole que les voitures, les camions et l’aviation ».

L’Arabie saoudite, grand manitou de l’or noir, qui dispose des deuxièmes réserves prouvées mondiales (266 milliards de barils) derrière le Vénézuéla (300 milliards de barils), devrait occuper l’un des tout premiers rôles de la filière pétrochimique. La semaine dernière se tenait par exemple à Alger un conseil d’affaires entre Algériens et Saoudiens, pour parler « opportunités de coopération et de partenariat dans l’industrie et les mines », selon un ministre algérien. Conseil au cours duquel il a été annoncé que plusieurs grands groupes saoudiens de la pétrochimie poseraient leurs valises (de billets) en Algérie d’ici peu. Comme, par exemple, SABIC (Saudi Basic Industries Corporation), qui a d’ailleurs signé un contrat avec Aramco, le numéro 1 saoudien du pétrole, en décembre 2017, pour développer une raffinerie associée à une usine pétrochimique. L’entreprise, à terme, devrait traiter près de 400 000 barils de brut par jour, pour 9 millions de tonnes de produits chimique tous les ans. Début des travaux ? 2025.

Traduction : ce n’est pas demain la veille que Riyad cessera de compter sur l’or noir. Ce qui est, d’un point de vue non seulement économique mais géopolitique, compréhensible. Le royaume a besoin de cette manne facile pour financer son plan pharaonique « Vision 2030 », mais également la guerre au Yémen, où il intervient depuis mars 2015 pour épauler les forces du président Abd Rabbo Mansour Hadi contre les rebelles Houthis, eux-mêmes soutenus (de loin) par l’Iran, la bête noire des Saoudiens. Preuve de la sensibilité du dossier : l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP), dirigés de facto par l’Arabie saoudite, a décidé, vendredi 7 décembre, de fermer les vannes (-1,2 million de barils par jour) pour faire remonter le cours de l’or noir. Celui-ci s’effondrait depuis le mois d’octobre dernier (-30 %) à cause de l’arrivée massive du gaz de schiste américain sur le marché.

Monstres de raison

Le pétrole, mais également le gaz, pour le Qatar – dont la production pétrolière est l’une des plus faibles de l’OPEP, que le petit émirat vient d’ailleurs de quitter, pour défier Riyad surtout, avec qui il est en froid depuis juin 2017 -, permet aux monarchies du Golfe de bénéficier d’une force de frappe économique et diplomatique très puissante. D’où leurs positions assez conservatrices lorsqu’il s’agit des hydrocarbures. Ce qui ne les empêche toutefois pas de lorgner du côté de la croissance verte, en matière d’énergies notamment – parce qu’elles y ont intérêt.

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Une étude du Center for Global Development, parue en 2008, indiquait que la région MENA (Moyen-Orient et Afrique du Nord), qui bénéficie d’un rayonnement direct normal supérieur à 5 kilowattheures sur 85 % de sa zone, pouvait satisfaire entre 50 et 70 % de la demande mondiale d’électricité grâce au soleil. De quoi promettre de belles retombées économiques à ceux qui investiraient dans le photovoltaïque, par exemple, comme l’Arabie saoudite, le Qatar et les Emirats arabes unis (EAU). Tandis que Riyad, via son plan « Vision 2030 », compte petit à petit abandonner le pétrole pour le solaire, Doha et Abou Dabi ont déjà bien avancé dans le développement de capacités renouvelables. Car ces géants économiques sont avant tout des monstres de raison. Si l’or noir les a établis au XXème siècle, l’or vert peut les maintenir au XXIème. A charge, pour leurs partenaires internationaux, de les guider – eux mais également tous les grands pollueurs de la planète – vers des raisonnements économiques plus vertueux.

Dans un premier temps, ces mêmes partenaires pourraient inciter le développement de filières vertes solides en réorientant leurs dépenses publiques, ce qui diminuerait à terme le coût de production (et le prix d’achat) des nouvelles technologies. Car il n’y a, par exemple, qu’en multipliant l’utilisation de véhicules moins gourmands en pétrole, que l’on pourra limiter l’impact sur le climat de l’arrivée toujours plus massive de voitures dans le monde. Le raisonnement étant valable aussi bien pour le transport que pour l’énergie ou l’industrie. Car si l’AIE a pu prédire une pénurie d’or noir à l’horizon 2025 – à cause d’une diminution drastique des investissements dans l’industrie pétrolière ces dernières années -, celle-ci, face aux besoins gigantesques de la pétrochimie par exemple, demeure très hypothétique.

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