L’affaire Khashoggi ou la vraie personnalité de Mohamed ben Salman

Le prince héritier saoudien ne peut définitivement plus se cacher derrière la bonhommie qu’on a pu lui prêter.

Plus les jours passent, et plus Mohamed ben Salman (dit « MBS ») laisse apparaître, à son plus regret vraisemblablement, sa vraie personnalité. Ou, plutôt, plus les révélations au sujet de l’affaire Khashoggi, qui sortent au compte-gouttes dans la presse, aident à délimiter les contours de ce personnage hors norme. La dernière est, à ce titre, particulièrement accablante, pour celui qui passe volontiers comme affable, voire débonnaire, lorsqu’il traine sa trentaine souriante sur les photos officielles.

« Matériel audio terrifiant et macabre »

Il y a quelques jours, le New York Times révélait que le prince héritier saoudien avait fait part à l’un de ses conseillers, en 2017, qu’il comptait utiliser « une balle » contre le journaliste saoudien, fraîchement exilé aux Etats-Unis, s’il ne rentrait pas au bercail et ne cessait immédiatement de critiquer le royaume. On connait la suite. Jamal Khashoggi se rendra au consulat d’Arabie saoudite à Istanbul (Turquie), début octobre dernier, où il tombera sur des « barbouzes » qui veilleront à lui transmettre le chaleureux souvenir du jeune leader saoudien.

D’après le média américain, « la conversation [entre MBS et son conseiller], interceptée par les services de renseignements américains, est la preuve la plus détaillée à ce jour que le prince héritier a envisagé de tuer M. Khashoggi, bien avant qu’une équipe d’agents saoudiens ne l’étrangle […] et ne démembre son corps avec une scie à os ». Agents saoudiens, chargés à bloc par les autorités saoudiennes, dont le procès s’est ouvert à Riyad dans le plus grand secret et la plus grande opacité, le 3 janvier dernier. Et poursuivi le 31 janvier, en l’absence de la presse.

Lire aussi : La nécessité d’une enquête internationale dans l’affaire Khashoggi

La rapporteure spéciale des Nations unies (ONU) sur les exécutions extrajudiciaires, Agnès Callamard, qui a d’ailleurs révélé la tenue de ce procès peu crédible – dont le seul but est de rassurer les partenaires internationaux du royaume -, de confirmer dans le même temps que « M. Khashoggi a été victime d’un meurtre brutal et prémédité, planifié et perpétré par des responsables de l’Etat saoudien ». L’experte française, qui dirige une enquête internationale indépendante sur l’assassinat du journaliste saoudien, se basant sur « les preuves réunies au cours de [sa] mission en Turquie ». Comme, par exemple, du « matériel audio terrifiant et macabre », rapporte l’ONU.

Barbarie immonde et nécessité politique

Si Mme Callamard a reconnu que son équipe n’était pas en mesure d’authentifier ce « matériel », la CIA, en novembre dernier, avait déjà conclu, après avoir épluché plusieurs sources de renseignements – dont un appel téléphonique entre le journaliste et l’ambassadeur saoudien aux Etats-Unis, Khaled ben Salman -, que le prince héritier avait ordonné l’assassinat de M. Khashoggi. Des révélations qui, ajoutées à celles très récentes du New York Times, en disent long sur les méthodes moyenâgeuses, mais également l’ambition de Mohamed ben Salman, qui ne peut définitivement plus se cacher derrière la bonhommie qu’on a pu lui prêter.

Lire aussi : Affaire Khashoggi : quand la CIA embarrasse la Maison-Blanche

Tout ceci doit amener les partenaires de Riyad, de quelque nationalité qu’ils soient, à s’interroger sur leurs rapports avec l’Arabie saoudite. Car peut-on décemment continuer à commercer, entretenir des liens diplomatiques, faire comme si la raison d’Etat primait sur tout le reste, avec un dirigeant prêt à faire massacrer un journaliste pour quelques lignes qu’il ne goûtait pas ? Les puissants sont-ils à ce point déracinés qu’ils n’opèrent même plus de distinction entre la barbarie immonde et la nécessité politique ? Cette deuxième interrogation valant aussi bien pour MBS que pour ses « amis » – Etats-Unis et France en tête, pour les raisons diplomatiques et économiques que l’on sait.

Seul espoir, à présent : que l’enquête internationale menée par l’ONU fasse la véritable lumière sur l’ensemble de l’affaire. Pour que des « coupables définitifs » soient nommés. Et déchus. En attendant, il y a fort à parier que d’autres révélations sur l’assassinat de Jamal Khashoggi sortiront. Et laisseront apparaître la vraie personnalité de Mohamed ben Salman ?

Partages