L’université tunisienne doit totalement revoir sa stratégie, en commençant par embaucher des professeurs qualifiés, estime Hatem Masri.
Ces dernières années ont marqué un changement radical dans les systèmes d’enseignement supérieur. Le nombre d’universités a considérablement augmenté et nous avons observé que certains établissements d’enseignement supérieur, non conventionnels, délivraient une variété de diplômes universitaires et d’études complémentaires professionnelles. Cela a changé la façon d’enseigner ; nous sommes passés du professorat vertical à des méthodes d’enseignement plus participatives et horizontales, où les élèves utilisent la technologie pour saisir les connaissances et améliorer leurs aptitudes et compétences. Tous ces changements m’ont incité à revenir en arrière, à passer au crible l’histoire de l’enseignement supérieur mondial afin de mieux comprendre l’évolution de ce secteur.
Haut rang
J’ai été très heureux et fier de découvrir que les plus anciennes universités ont été créées par des Tunisiens. La première est l’Université Ezzitouna, fondée en 737 après J.-C. à Tunis. La deuxième, l’Université de Kairouan, fondée par Fatima al-Fihri en 859 de notre ère à Fès, au Maroc. La troisième, enfin, est la célèbre Université Al-Azhar, fondée par Al-Mu’izz li-Dîn Allah en 970 après J.-C. au Caire, en Égypte. Toutes ces universités, appelées à l’époque médersa (ou écoles coraniques), étaient longtemps considérées comme un pôle de connaissances et de sciences, avant d’apparaître dans la partie nord de la mer Méditerranée, avec l’Université de Bologne, fondée en 1088 après J.-C. Des scientifiques du monde entier et de différents domaines de recherches ont été invités à la discussion et à l’échange, afin d’apporter d’apporter des solutions aux problèmes de l’époque. Le style d’enseignement dans ces universités était un mélange entre des cours interactifs et l’engagement des étudiants dans l’apprentissage, tout en appréciant ce qu’ils faisaient.
Ce passé glorieux a soudain disparu. Aujourd’hui, malheureusement, les universités tunisiennes peinent à figurer parmi les 1 000 meilleures universités du monde, et leur contribution aux domaines académiques et à l’humanité n’a pas de sens. D’un autre côté, les universités d’autres pays arabes ont gravi les échelons internationaux et sont devenues une plaque tournante de la science et du savoir dans le monde. Ces réalisations pour ces jeunes universités sont en partie dues à la détermination et au leadership des décideurs de ces pays.
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Des universitaires tunisiens résidant dans le royaume de Bahreïn se sont rencontrés chaque semaine au cours des huit dernières années pour discuter de la problématique de l’enseignement supérieur tunisien : comment retrouver la position de haut rang dont jouissait autrefois l’enseignement tunisien ? Ce groupe d’universitaires, composé de scientifiques, d’éducateurs, de médecins, de politiciens et d’ingénieurs dans divers domaines industriels, est parvenu à la conviction que la solution est de remonter à la source. Le système d’enseignement supérieur doit ouvrir ses portes aux étudiants et universitaires internationaux et s’engager dans un partenariat avec l’industrie. Les dirigeants des pays devraient repenser les moyens de parrainer les universités en leur donnant une autonomie supplémentaire pour trouver des moyens de subventionner leur budget sans exercer de pression supplémentaire sur les budgets nationaux.
Reconquête
Ces universités doivent proposer des stratégies qui leur permettent d’améliorer la qualité de l’enseignement, loin de la stratégie de « style unique », pour attirer une grande variété d’étudiants au niveau local, régional et mondial. Afin de mettre en œuvre de telles stratégies, il faut embaucher des professeurs qualifiés et, pour atteindre cet objectif, des incitations doivent être accordées aux professeurs qui dirigeront le changement dans ces universités. Par conséquent, le gouvernement tunisien a besoin de l’aide d’autres parties prenantes, afin de faire face au coût réel d’une telle réforme, qui conduira finalement à un meilleur système d’enseignement supérieur.
Tout au long de mes 20 années d’expérience dans l’enseignement supérieur, en tant que professeur en analyse commerciale et doyen du College of Business Administration de l’Université de Bahreïn, j’ai rencontré plusieurs opportunités sérieuses d’investissement, proposées par des investisseurs de premier plan, dans le domaine de l’éducation, réellement impressionnés par l’histoire tunisienne et qui ont exprimé leur volonté de mettre en place des plateformes d’enseignement supérieur dans le pays. La position géographique stratégique de la Tunisie représente un élément incitatif pour ces investisseurs, même si ceux-là pourraient se raviser vu le conservatisme du gouvernement tunisien concernant ces investissements. Il est par conséquent attendu de celui-ci qu’il assouplisse toute règlementation pouvant constituer un obstacle à la reconquête de l’éminent statut de l’enseignement supérieur tunisien dans le monde.
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Hatem Masri est professeur d’analyse commerciale et doyen du collège d’administration des affaires à l’université de Bahreïn. Ses recherches portent notamment sur l’analyse commerciale, la gestion de la « supply chain », l’ingénierie financière et la finance islamique.