Entre 2016 et 2019, selon l’OMS, un total de 494 attaques contre des services de santé a été répertorié.
Alors que le conflit en Syrie va entrer ce mois-ci dans sa dixième année, l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) a décidé de taper du poing sur la table pour marquer l’événement. L’agence des Nations unies (ONU) a condamné dans les « termes les plus fermes » les attaques contre les établissements de santé et le non-respect du droit international humanitaire, et plus globalement dénoncé la situation humanitaire actuelle du pays.
« Les données que nous pouvons maintenant révéler sur les attaques qui affectent la santé en Syrie sont un sinistre témoignage d’un manque de respect flagrant pour le droit humanitaire international et la vie des civils et des agents de santé », a déclaré Richard Brennan, directeur régional des urgences de l’OMS en Méditerranée orientale.
« Handicaps permanents »
Que dit ce droit international humanitaire ? Il interdit d’attaquer intentionnellement les sites où sont soignés les malades et les blessés, que ce soit pour restreindre ou refuser l’accès des civils aux soins de santé. Dans un communiqué publié le 11 mars, l’OMS l’affirme : « De tous les conflits armés dans le monde, la Syrie est depuis des années l’un des pires exemples de violence affectant les soins de santé. »
« Ce qui est troublant, c’est que nous en sommes arrivés à un point où les attaques contre la santé – ce que la communauté internationale ne devrait pas tolérer – sont désormais considérés comme allant de soi, ce à quoi nous nous sommes habitués. Et elles continuent à se produire, selon M. Brennan. Il y a seulement deux semaines, deux hôpitaux du gouvernorat d’Idlib ont été attaqués, blessant quatre travailleurs et suspendant temporairement les services. »
Entre 2016 et 2019, selon l’OMS, un total de 494 attaques contre des services de santé a été répertorié, dont 68 % (soit 337 attaques) ont été enregistrées dans le nord-ouest de la Syrie, « parmi les dernières zones du pays qui ne sont pas sous le contrôle du gouvernement ». D’après les données récoltés par l’agence de l’ONU, le pic des attaques a été atteint en 2016 et ont fortement diminué l’an dernier, sans doute en raison de la taille réduite de la zone où les combats se tenaient. En 2019, 82 % des attaques ont ainsi eu lieu dans le nord-ouest, contre 49 % en 2018, 58 % en 2017 et 85 % en 2016.
En tout, sur cette période de quatre années, les attaques ont fait 470 morts, avec un pic là encore en 2016 (241 décès) et une décrue en 2019 (54), « toujours en raison de la réduction du territoire soumis aux opérations militaires » selon l’OMS. « Le nord-ouest de la Syrie représente le nombre total de décès le plus élevé au cours de ces quatre années : 309 (66 %) ». S’ajoutent aux personnes décédées près d’un millier de personnes (968) blessées à la suite des attaques dans toute la Syrie depuis 2016. « Beaucoup d’entre elles gardent des handicaps permanents », précise l’agence de l’ONU.
Cessez-le-feu
« Un exemple clair de l’impact du conflit sur le droit à la santé d’un individu est le nord-ouest de la Syrie, où aujourd’hui seulement la moitié des 550 établissements de santé restent ouverts, soit à cause de l’insécurité, des dommages causés par les attaques précédentes, des menaces d’attaques futures, ou des zones environnantes qui sont complètement désertées car les gens sont forcés de quitter leur maison », explique Richard Brennan.
« Les établissements de santé sont maintenant les endroits les moins sûrs de la région », a déclaré un médecin cité par l’OMS, quelques jours après que deux hôpitaux de Darat Izza (gouvernorat d’Alep) ont été touchés par un raid aérien, le 17 février 2020. Un autre médecin, travaillant dans un hôpital pour enfants et une maternité à Harim, dans le gouvernorat d’Idlib, a également décrit à l’OMS comment son équipe médicale et lui travaillaient dans la crainte constante des bombardements.
En septembre dernier, une commission d’enquête interne des Nations unies a commencé à enquêter sur une série d’incidents dans le nord-ouest de la Syrie, depuis la signature d’un mémorandum sur la stabilisation de la situation dans la zone de désescalade d’Idlib, entre la Russie et la Turquie, le 17 septembre 2018. « L’enquête porte sur la destruction ou la détérioration d’installations figurant sur la liste de désescalade et contenant des sites humanitaires soutenus par les Nations unies », affirme l’OMS, qui précise que la commission n’a pas encore présenté ses conclusions.
« Jusqu’à présent, en 2020, les attaques confirmées contre la santé en Syrie sont au nombre de 9 – toutes dans le nord-ouest – et ont fait 10 morts et 35 blessés », poursuit l’OMS. Alors que Moscou et Ankara avait signé un cessez-le-feu autour d’Idlib, le 6 mars dernier, la période d’accalmie qui avait suivi vient d’être interrompue, des « petits incidents », selon les mots du président turc, Recep Tayyip Erdogan, ayant éclaté « çà et là ». Les combats dans la zone ont obligé plus d’un million de personnes à fuir, depuis décembre dernier, et de nombreuses voix s’élèvent pour dénoncer une situation humanitaire intenable.
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Crédits photo : La ville d’Idlib, ici photographiée en février 2017, a été ravagée par les frappes aériennes. Reuters
