Il y a urgence à prendre en considération les populations des régions reculées des trois pays du Maghreb.
Le Maghreb n’est pas au meilleur de sa forme. C’est un euphémisme. Au Maroc, le chômage a dépassé la barre des 10 % l’an dernier, les premiers touchés, comme souvent, étant les jeunes : 26,5 % des 15-24 ans font les frais d’un marché de l’emploi morose sur l’ensemble du royaume. En Algérie, les cures d’austérité répétées entrainent le mécontentement des citoyens et d’une partie de la classe politique, qui appelle à un changement de paradigme pour lutter, notamment, contre l’inertie rampante et la corruption. En Tunisie, enfin, l’Institut tunisien des études stratégiques (ITES) passe son temps à compter les citoyens qui quittent le navire pour des terres plus accueillantes.
« L’amertume, la rage et la frustration »
On l’aura compris, près d’une décennie après les « Printemps arabes », les pays du Maghreb connaissent des situations politiques, économiques et sociales assez tendues. D’autant plus que commence à émerger, tout doucement, des régions les plus reculées de ces pays, un ressentiment fort à l’égard du pouvoir. Et l’impression, chez ces « citoyens périphériques », que les gouvernement les ont délaissés. « Marquées par une histoire de négligence des Etats, avec des taux de pauvreté souvent plus du triple de ceux des zones urbaines, ces frontières du mécontentement se transforment en incubateurs d’instabilité » expliquait en mars dernier Anouar Boukhars, professeur de relations internationales, dans un article publié par l’Africa Center for Strategic Studies.
Selon lui, « l’amertume, la rage et la frustration à l’égard des gouvernements, perçus comme étant criblés d’abus et de corruption, représentent un mélange combustible […] menant à l’actuelle serre de discorde et de tumulte ». Pour y remédier ? « L’intégration économique des communautés périphériques est une priorité, estime le chercheur. Sinon, la perception de la corruption et de l’exploitation renforcera les griefs perçus. » Et le vide institutionnel ne fera que renforcer les flux transfrontaliers illicites de personnes et de biens – armes et drogue comprises -, mais également le militantisme et le recrutement djihadiste, d’après lui.
« Les problèmes de sécurité »
En Algérie, par exemple, le « laissez-faire du gouvernement » à l’égard du commerce transfrontalier informel a contribué à faire de la contrebande une activité économique dominante dans le Sud – une stratégie, en réalité, conçue pour apprivoiser les populations de cette région, qui ne bénéficiaient pas des retombées économiques permises par la richesse de leurs sols. Problème : « Les débuts des groupes terroristes et des organisations criminelles au Sahara au début des années 2000 ont cependant révélé les pièges potentiels de cette stratégie ». Depuis 2011 et le « réveil arabe », le Sud algérien s’est d’ailleurs politisé et les protestations contre l’exclusion sociale se sont multipliées.
Au Maroc, où, à première vue, les frontières semblent moins exposées aux dangers sécuritaires qui pèsent sur ses voisins maghrébins, les autorités ont su réduire « au minimum les problèmes de sécurité tout en améliorant continuellement ses capacités à se préparer à des risques de plus en plus volatiles et imprévisibles » renseigne Anouar Boukhars. Si les groupes terroristes, selon le chercheur, ont ainsi plus de mal à s’implanter autour du royaume, la périphérie marocaine connait tout de même le trafic de drogue et le passage de clandestins. Sans parler des tensions sociales qui habitent ces régions, comme en témoignent les protestations de plusieurs mois qui avaient secoué le Rif (nord) fin 2016.
Un sursaut attendus des autorités
En Tunisie, enfin, louée à juste titre pour les progrès démocratiques qu’elle a réalisés depuis le soulèvement populaire qui a renversé Ben Ali en 2011, « les asymétries régionales posent des défis importants à la démocratie naissante du pays » estime M. Boukhars. Notamment le fossé économique entre, d’un côté les zones rurales et, de l’autre, les zones urbaines, le taux de pauvreté étant trois fois plus élevés dans les premières qu’à Tunis par exemple. Ce qui entraine là aussi l’érection d’un commerce transfrontalier illicite, les populations tunisiennes « périphériques » souffrant, comme leurs voisines marocaines et algériennes, de l’abandon du gouvernement.
Qui, plutôt que de trouver une solution structurelle à la morosité économique et sociale, a choisi en 2016 de militariser massivement les frontières, en raison du risque terroriste bien présent. A l’arrivée : tout un marché de contrebande désorganisé, des soulèvements populaires et aucune alternative viable proposée par les autorités. Qui ne pourront pas éternellement gérer leurs périphéries en envoyant l’armée y loger, ceci renforçant « la méfiance à l’égard des gouvernements centraux tout en alimentant le militantisme » selon Anouar Boukhars. Une première étape vers l’intégration – économique, politique et sociale – serait peut-être que les autorités s’y rendent elles-mêmes, pour commencer.
