Au Liban, les travaux des « Modernes » face aux « Anciens »

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11.11.2019

La géopolitique du Proche-Orient et la question confessionnelle sont autant d’obstacles à la liberté démocratique du Liban.

Même en période de crise, les Libanais conservent leur sens de l’humour. Sur certaines routes bloquées, ou autres places noires de monde, des manifestants n’hésitent pas à appeler à « la fermeture du pays pour cause de travaux ». Un sens de la formule génial, dont la légèreté apparente ne doit pas masquer une farouche détermination. Celles de milliers de personnes qui, depuis plus de 4 semaines, affirment ne plus vouloir céder au chantage bien rôdé des autorités, quelles qu’elles soient, au Liban.

Voilà près d’1 mois que s’affrontent, au Liban, « Anciens » et « Modernes », au sein d’un combat aussi ancien que constant dans l’histoire de l’humanité – toute (r)évolution a connu cet antagonisme nécessaire. Une lutte déjà jouée mille fois, dont l’issue importe autant que les motifs qui l’ont entraînée. Ici, chômage, pauvreté, corruption des élites et, chose nouvelle au Liban, la volonté partagée au plan national de réformer le pays. Mais attention aux « vieux seigneurs de la guerre » qui restent en embuscade.

« Casser des manifestants »

« Pour sortir réellement de la guerre, il faudrait s’affranchir des discours des partis alliés au pouvoir qui laissent planer la menace de sa réactivation », prévient l’historienne du monde arabe Jihane Sfeir dans une tribune. Le président de la République, Michel Aoun, a bien tenté, dans son discours de mi-mandat du 31 octobre, de calmer le réveil citoyen en proposant la formation d’un gouvernement avec des ministres « compétents ». L’ex-Premier ministre Saad Hariri a, lui, essayé d’amadouer les Libanais en citant son père Rafik dans son discours de démission.

Le Premier ministre du Liban, Saad Hariri, a donné sa démission le 29 octobre dernier.

Autant de tentatives qui n’ont fait, semble-t-il, que redoubler la colère et la pugnacité des manifestants. D’autant plus que, comme le dispose la Constitution du pays du Cèdre, Saad Hariri doit gérer les « affaires courantes » du Liban, et ceci aussi longtemps qu’un nouveau gouvernement n’aura pas été désigné par le président. Celui-ci, clament les Libanais, devra être « propre » et indépendant. C’est-à-dire sans lien avec les actuels leaders politiques du pays.

Mais ces derniers ne sont pas près de lâcher prise. « Les chefs historiques des partis musulmans et chrétiens […] accusent, menacent et certains […] n’hésitent pas à envoyer des voyous casser des manifestants et semer le chaos et la terreur », révèle en effet Jihane Sfeir. Des méthodes éminemment discutables qui montrent bien, d’ailleurs, que le système confessionnel qui structure la politique libanaise depuis des décennies pourrait être arrivé à son terme. A Beyrouth comme à Tripoli, combien sont-ils à revendiquer l’établissement d’une République laïque ?

« Peur du changement »

Problème, cette question abolitionniste est loin d’être nouvelle. C’est d’ailleurs « l’un des thèmes récurrents au Liban depuis les premières années qui ont suivi la création du Grand Liban en 1920 », affirmait en 2013 Michel Touma, rédacteur en chef du quotidien libanais L’Orient-Le Jour. Le « communautarisme dans le partage du pouvoir » au pays du Cèdre peut-il disparaître ? Rien n’est moins sûr, selon Jihane Sfeir :

« Malgré le succès du slogan ‘‘ni chrétiens, ni musulmans, nous voulons une unité nationale’’, la plupart des chrétiens libanais que nous avons rencontrés se disent favorables au maintien du confessionnalisme. Conscients de leur nombre inférieur à celui des musulmans, influencés par l’héritage de la guerre, inquiets au vu du sort de leurs coreligionnaires d’Orient (notamment en Irak), une grande partie des chrétiens ont peur du changement », estime l’historienne.

De fait, quand bien même un gouvernement technique serait nommé dans les prochaines semaines, la question confessionnelle continuera d’envahir les rues du Liban. Pour contrer une perte de légitimité, le leader du Hezbollah (parti chiite lié à la République islamique d’Iran), Hassan Nasrallah, s’est d’ores et déjà rangé du côté des manifestants, en assurant qu’il était hostile à la corruption et favorable à un vaste dialogue. Et il ne fait guère de mystère que le régime saoudien, parrain des sunnites libanais, s’emploiera pour conserver coûte que coûte son influence au pays du Cèdre.

Liban. Hassan Nasrallah aux côtés du Guide suprême iranien, Ali khamenei, en 2005.

La géopolitique du Proche-Orient aussi bien que la question confessionnelle, donc, apparaissent comme autant d’obstacles à la liberté des Libanais de se déterminer. Il faudrait, pour ce faire, que les croyances, quelles qu’elles soient, cèdent la place au terrestre, et que le Liban cesse d’être instrumentalisé par les puissances régionales. Alors pourrait-on parler de démocratie. Si l’on ajoute la problématique (fondamentale) économique – la Banque mondiale craint que l’instabilité politique n’affaiblisse sérieusement les finances du pays -, les travaux, comme le clament certains manifestants sur les routes, sont effectivement nombreux au pays du Cèdre.

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