L’ouverture de salles de cinéma fait partie du vaste plan de libéralisation des moeurs du prince héritier, Mohamed ben Salman.
La révolution des moeurs, en Arabie saoudite, suit son cours. Ou plutôt devrait-on dire, s’agissant des salles de cinéma, que le passé revient toquer à la porte. Car avant que le fondamentalisme religieux n’impose sa patte dans les sphères du pouvoir, à Riyad, les Saoudiens pouvaient visionner des films dans des salles obscures. Loisir dont ils ont été privés pendant plus de 35 ans. Mais les autorités saoudiennes ont annoncé, aujourd’hui, qu’elles allaient autoriser à partir de 2018 l’ouverture de salles de cinéma, et délivreront très bientôt les permis d’exploitation. « C’est un moment clé dans le développement de l’économie culturelle dans le pays » a annoncé le ministre de la Culture, Awad al-Awad, dans un communiqué. « En tant que régulateur de l’industrie, la Commission générale des médias audiovisuels a lancé le processus d’octroi des licences pour les salles de cinéma dans le royaume [et] les premiers cinémas devraient ouvrir en mars 2018. »
L’année dernière, le gouvernement avait promis un remaniement de la scène culturelle, avec toute une série de réformes annoncées par le prince héritier saoudien. Mohamed ben Salman (dit « MBS »), 32 ans, est depuis quelques mois le nouvel homme fort d’Arabie saoudite, et cherche à tourner le dos au clergé wahhabite, qui imprime fortement sa marque sur le pouvoir. Après la purge historique du 4 novembre dernier, orchestrée par ses soins, et qui avait vu plusieurs dizaines de personnes haut-placées se faire arrêter pour corruption, le futur monarque saoudien avait déclaré qu’il ne souhaitait plus que la religion dirige autant le pays.
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« Vision 2030 »
A la place, MBS prône la libéralisation des moeurs à tout-va, comme en témoigne l’autorisation bientôt accordée aux femmes de conduire – une petite révolution en Arabie saoudite – ; ces derniers mois, le royaume a même organisé des concerts, un festival de culture pop « Comic-On » et une fête nationale mixte, où des gens ont, pour la première fois, dansé sur de la musique électronique. Une liberté qui n’est pas du goût de le plupart des responsables religieux, mais qui séduit fortement les plus jeunes – en Arabie saoudite, environ 70 % de la population a moins de 30 ans.
Le régime, quant à lui, en attend des retombées économiques, au-delà d’une image à l’international forcément restaurée. Les changements que connait aujourd’hui le royaume font partie du vaste plan de réformes « Vision 2030 », déclenché par Mohamed ben Salman et visant à l’éloigner de la dépendance au pétrole, dont les cours ont chuté ces dernières années. Le projet emblématique de cette nouvelle impulsion socio-économique, NEOM, n’étant rien d’autre qu’une mégalopole de 26 000 kilomètres carrés, dont la construction est prévue sur les rives de la mer Rouge. Déjà comparée à la Silicon Valley américaine, le mégaprojet des Saoudiens nécessitera tout de même un investissement de 500 milliards de dollars (425 milliards d’euros), et servira à développer les nouvelles technologies digitales, les médias et le divertissement.
Vivre « normalement »
Grâce à la réouverture des salles de cinéma, l’Arabie saoudite espère en tout cas capter jusqu’à un quart des 20 milliards de dollars dépensés actuellement par les Saoudiens à l’étranger, qui voyagent pour assister à des spectacles, voir des films et visiter des parcs d’attraction – à Dubaï notamment. 95 % des cinéphiles de Bahreïn, également, sont en réalité saoudiens, ceux-là achetant jusqu’à 4 millions de billets de cinéma chaque année. Une absurdité économique et sociétale à laquelle le prince héritier a entendu mettre fin.
Selon lui, la société aspire à vivre « normalement » et est prête, malgré quelques cris d’orfraies de l’arrière-garde, à se moderniser. Certains grands centres commerciaux ont d’ailleurs déjà commencé à s’agrandir en prévision d’une ou plusieurs salles de projection ; le complexe Red Sea de Djeddah, la deuxième ville d’Arabie saoudite, vient par exemple de terminer son projet d’extension et se prépare à transformer ses salles de conférences en cinémas. En revanche, pour ce qui est de la mixité, il faudra sans doute repasser. La révolution des moeurs, en Arabie saoudite, suit son cours, mais à son rythme.
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