En poste depuis plus de vingt ans, Ismaïl Omar Guelleh est candidat à un cinquième mandat.
Petit État ayant accédé à l’indépendance en 1977, enchâssé entre des voisins (Somalie, Ethiopie, Érythrée) balayés par les conflits armés, Djibouti a construit son développement sur un modèle spécifique, vanté par le pouvoir. Ce modèle, les chercheurs Sonia Le Gouriellec et David Styan le décrivent dans un récent ouvrage comme une « indépendance internationalement négociée ».
Tournant le dos aux alliances de bloc qui avaient cours dans la région durant la Guerre froide, Djibouti a su tirer parti de son positionnement géostratégique, à l’entrée de la mer Rouge, pour ouvrir son territoire à plusieurs puissances étrangères. Sept pays y disposent d’installations militaires : la France, les États-Unis, la Chine, le Japon, l’Italie, l’Allemagne et l’Espagne. La Russie et l’Arabie Saoudite pourraient s’y implanter à leur tour.
En l’absence d’une culture démocratique solide, un tel noeud d’intérêts, où les relations commerciales le disputent aux intérêts militaires, ne pouvait qu’aboutir à des formes de corruption. De fait, Ismaïl Omar Guelleh est régulièrement accusé de pratiquer un pouvoir népotique. Les principales entreprises et infrastructures du pays sont dirigées par ses proches. Les soupçons d’enrichissement personnel sont monnaie courante, comme en témoigne l’enquête sur les biens mal acquis visant l’entourage du président ouverte à Paris en 2018.
Une insécurité juridique grandissante à Djibouti
Car le numéro d’équilibrisme pratiqué par le pouvoir à l’égard de ses hôtes et alliés se traduit dans les faits par une dépendance de plus en plus flagrante à l’égard d’un seul : la Chine. En proportion de sa population, Djibouti figure dans le peloton de tête des investissements chinois en Afrique, au point que Pékin détiendrait plus de 80% de sa dette. La sujétion tant redoutée se matérialise déjà dans le climat des affaires, les marchés étant principalement remportés par des entreprises chinoises.
Cette situation est à l’origine d’une insécurité juridique grandissante pour les entreprises non chinoises décidées à s’implanter à Djibouti ou présentes sur son sol depuis des années. Dernier exemple en date, celui d’un des leaders mondiaux de l’exploitation portuaire, l’opérateur émirati DP World. En 2006, un consortium dont il fait partie remportait, en toute légalité, une concession du terminal à conteneurs de Djibouti. Durée légale de la concession : 30 ans. Douze ans plus tard, le gouvernement décide de nationaliser les parts de la société des Ports de Djibouti, autre membre du consortium.
C’est le début d’une bataille juridique entre Djibouti et DP World qui prend rapidement une dimension internationale. En 2018, DP World se voit purement et simplement exproprié à l’issue d’un différend de six ans. Malgré plusieurs décisions favorables à DP World, dont un jugement récent de la Cour internationale d’arbitrage de Londres (LCIA), le gouvernement refuse de verser les dommages et intérêts réclamés par l’opérateur, cherchant à obtenir l’annulation de la décision de la LCIA par ses propres tribunaux. Les pertes de DP World sont aujourd’hui estimées à 1 milliard de dollars. De quoi refroidir les investisseurs régionaux.
Soupçons de népotisme
Ces litiges illustrent la fébrilité et les paradoxes d’un régime prêt à écorner sa crédibilité internationale alors qu’officiellement, il mise sur un accroissement des investissements étrangers pour tirer sa population de la pauvreté. A la tête du pays depuis 1999, soit un an de plus que Vladimir Poutine, M. Guelleh a d’ailleurs fait le vide autour de sa personne, au point que l’opposition ne semble pas en mesure de présenter face à lui un candidat crédible à l’élection présidentielle en avril prochain. A 73 ans, l’hôte du palais de Haramous vante les bienfaits de sa politique commerciale, un taux de croissance porté à 7% en moyenne ces 5 dernières années et sa bonne gestion de la pandémie de Covid-19.
Pourtant, les promesses de développement associées à un modèle ouvert aux investissements étrangers tardent à se matérialiser. Le taux de chômage reste désespérément figé au-dessus de 60%. D’après la Banque mondiale, un quart des Djiboutiens vit dans une pauvreté extrême. Sur le plan de la démocratie, le bilan n’est guère plus reluisant. Il y a deux ans, à l’occasion de la visite en France de M. Guelleh, le défenseur des droits de l’homme Omar Ali Ewado peignait un tableau sans concession du pouvoir en place : opposition muselée, société civile bâillonnée, surveillance policière et arrestations arbitraires.
En campagne pour un cinquième mandat, M. Guelleh promet, comme d’habitude, une meilleure répartition des richesses. Nul doute qu’il va continuer à réitérer cette promesse illusoire, en mettant sous le tapis les limites de la stratégie à l’oeuvre depuis vingt ans. Pendant ce temps-là à Djibouti, le chômage et la pauvreté ne faiblissent pas.
