« Riyad et Abou Dhabi poursuivent actuellement leurs opérations de sape de la paix dans la région » estime Sébastien Boussois.
Alors que le 5 juin prochain marquera les trois ans du blocus contre le Qatar décidé par l’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis (en tête), il faut bien reconnaître qu’aucun effort sérieux de réconciliation, depuis, n’a permis aux différents pays du Conseil de Coopération du Golfe de parvenir à une relance de la coopération régionale, pourtant essentielle pour la stabilité du Moyen-Orient.
Même la crise mondiale du Covid-19, qui aurait pu être une opportunité unique d’éteindre un certain nombre de différends et de promouvoir une solidarité ainsi qu’une nouvelle dynamique politique, afin d’endiguer une nouvelle menace régionale, n’y a rien fait hélas. Les récentes rumeurs publiées sur Twitter par des faux comptes saoudiens et émiratis il y a quelques jours, avec le hashtag « coup au Qatar », prétendant qu’une tentative de coup d’Etat avait eu lieu samedi soir à Doha, prouvent à quel point Riyad et Abou Dhabi cherchent encore à venir à bout de leur ennemi.
Echanges internationaux
Il n’y a clairement aucune volonté de leur part pour une sortie de crise rapide. Depuis 2017, les tentatives de médiation du Koweït ou d’Oman, ou encore le semi-rapprochement entre Riyad et Doha à la fin de l’année 2019, ont échoué. Certaines rumeurs avaient déjà évoqué une potentielle invasion saoudienne de l’Emirat du Qatar en 2017, relayées par une armée de trolls sur les réseaux, dont l’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis sont devenus les spécialistes depuis quelques années. C’est l’arme du moment de ces deux pays quand plus rien d’autre ne marche.
Alors qu’il serait temps, plutôt, de relancer enfin une coopération régionale et de partager les compétences, savoir-faire, recherches en matière de lutte contre la pandémie, les membres du Quartet continuent de s’attaquer à Doha, qu’ils accusent depuis trois ans de soutien au terrorisme. Alors que l’Iran a été durement frappé par le coronavirus, faisant plus de 6 500 morts et près de 100 000 cas officiels, les Emirats arabes unis ont recensé tout de même près de 16 000 cas au total et le Qatar environ 18 000. Quant à l’Arabie saoudite, on parle officiellement de 33 000 cas mais sans test, difficile de savoir exactement.
Alors que la compagnie aérienne Emirates a mis en place des tests en 10 minutes de tous ses passagers tout récemment, le Qatar, faisant cavalier seul, a été plus loin depuis le début : tout le monde a eu la possibilité, contrairement à chez nous, de se faire tester pour le Covid-19. Sans frais. Et en cas de résultat positif, de recevoir les soins nécessaires le plus tôt possible. Un « tracking » des personnes ayant côtoyé ces individus, que beaucoup demandent en Europe, a été rapidement mis en place.
Doha a élaboré immédiatement une politique de nettoyage active des lieux publics afin de garantir une sécurité sanitaire maximale. C’est aussi « grâce » à ce dépistage généralisé et suivi que les chiffres relatifs aux cas de personnes malades paraissent plus importants. Mais le Qatar et les Emirats, avec leurs deux hubs planétaires, ont aussi payé le prix de leur intégration au monde. Sans édicter une loi scientifique à ce stade, plus les pays sont intégrés aux échanges internationaux, plus ils ont été touchés par le Covid-19. CQFD pour l’Arabie saoudite.
Au bord du gouffre
Tandis qu’une solidarité aurait pu renaître dans la région, à cette occasion, chacun a géré la crise en solitaire. Puisque l’Iran recevait le soutien de la Chine et de la Russie, c’était aussi une belle occasion (encore ratée) de régler une crise en local. Pour l’épidémie de coronavirus comme pour celles potentielles à venir, il serait essentiel que les pays du CCG puissent renforcer leurs relations et partager leurs expériences autour de la table. Mais de cela, il y a fort à parier qu’aucune leçon ne sera tirée, tant les tensions se maintiennent voire se multiplient inéluctablement.
La crise de 2017 était partie du hacking de l’agence nationale de l’information qatarie. Riyad et Abou Dhabi poursuivent actuellement à vitesse grand V, et ce depuis le début de la pandémie, leurs opérations de sape de la paix dans la région. En Arabie saoudite, où Twitter a l’un des taux de pénétration les plus élevés au monde, les réseaux de désinformation gérés par l’Etat utilisent des théories du complot et de fausses nouvelles pour rallier le public saoudien autour du drapeau aux deux sabres. Le faux coup d’Etat de la semaine dernière en est le dernier exemple.
Pourtant, le pays est économiquement au bord du gouffre. Il a voulu en faire profiter tout le monde en augmentant sa production de pétrole et en faisant chuter les cours. En pleine crise sanitaire mondiale, Mohamed ben Salman semble plus soucieux de régler ses différends personnels que de sauver son pays. Pas de pèlerinage à la Mecque cette année, mois de ramadan confiné : la période est difficile pour tous les musulmans de la région. Guerre au Yémen sans issue. Stratégie de dissimulation par l’art en investissant dans des sociétés occidentales de loisirs comme Live Nation Entertainment tout récemment.
Fan des jeux vidéos qu’il est, le prince héritier saoudien met la paix en danger dans la région en développant l’autoritarisme 2.0, afin de contrôler sa société par les réseaux sociaux, et diffusant de fausses rumeurs sur ses ennemis. La nouvelle armée de cybersoldats est la preuve, s’il en fallait encore une, que « Vision 2030 » n’est bien qu’un nouveau mirage dans le désert saoudien : pas de modernisation, pas de libéralisation et pas de coopération régionale pouvant desservir ses propres intérêts.
