Le Premier ministre tunisien fait face, actuellement, à une grogne sociale importante.
Depuis le début de l’année, en Tunisie, on ne parle que de cela. La flambée des prix, conséquence directe de la loi de finances 2018. Problème : le citoyen ne sait plus où donner de la tête, entre les intox des réseaux sociaux, les explications trop techniques des experts et les accusations alarmantes de l’opposition et de l’Union générale tunisienne du travail (UGTT). Selon qui Youssef Chahed, le chef du gouvernement, va détruire le pouvoir d’achat du Tunisien moyen – voire le pays tout entier – avec ses prévisions économiques.
Une question, pourtant, mérite d’être posée : qu’est-ce que cette loi de finances a de si différent par rapport aux années précédentes pour soulever un tel tollé ? Depuis 2011, en Tunisie, l’Etat a toujours eu des dépenses largement au-dessus de ses recettes. Un déséquilibre expliqué en partie par l’augmentation faramineuse des premières, due principalement à la hausse de la masse salariale et à celle des dépenses de la caisse de compensation. Mais également par la baisse vertigineuse des recettes.
Intérêts des salariés
Entre les difficultés du secteur du tourisme, frappé de plein fouet par le terrorisme, et l’explosion de l’évasion fiscale après la chute du régime, Tunis voit ses recettes s’amenuiser depuis des années. Et les gouvernements successifs, précaires, se sont basés sur le fameux principe du « après moi le déluge » pour avoir recours à la solution de facilité : pour rééquilibrer la balance, rien de mieux que l’endettement. Sauf que celui-ci a été multiplié par 3 en 7 ans – pour culminer à 62 milliards de dinars aujourd’hui.
La dette tunisienne va ainsi bientôt dépasser la barre des 70 %, un niveau difficilement supportable qui mènera le pays, dans les prochaines années, vers une seule et unique destination : la faillite. A moins de prendre des mesures drastiques pour enrayer cette chute. Ce que fait actuellement le gouvernement en tentant de réduire les dépenses et augmenter les recettes. Et pour ce faire plusieurs leviers, dont la vente d’une partie des entreprises publiques déficitaires, mais également améliorer la rentabilité des activités industrielles et commerciales.
Problème : dans les deux cas, l’UGTT, la principale centrale syndicale de Tunisie, entend poser son veto, puisque les mesures, selon elles, contreviennent aux intérêts des salariés. Que peut faire, dès lors, le gouvernement ? Augmenter la pression fiscales sous formes d’impôts sur le revenu et de taxe sur la valeur ajoutée (TVA). Sauf que, là encore, l’UGTT a été le premier acteur tunisien à dénoncer ce bond fiscal. Reste à l’exécutif de jouer sur la diminution des dépenses de l’Etat, les deux principales étant la masse salariale et la caisse de compensation.
Accord de Carthage
Youssef Chahed, ainsi, devait bâtir une loi de finances qui réduise nécessairement le déficit budgétaire. Et avait, pour ce faire, plusieurs choix : augmenter les impôts ou les taxes sur la consommation, vendre des entreprises publiques ou diminuer la masse salariale et les dépenses de la caisse de compensation. Sur ces 5 solutions, l’UGTT a déposé 3 vetos. Ne restait donc au gouvernement, comme seule et unique solution, que l’augmentation des impôts et des taxes. Des mesures extrêmement impopulaires car douloureuses. Donc courageuses ?
Les adversaires du Premier ministre s’en sont en tout cas donné à coeur joie. Son seul soutien ? Il est venu du palais présidentiel, où Béji Caïd Essebsi a réuni les signataires de l’Accord de Carthage – conclu en 2016, il prévoyait la formation d’un gouvernement d’union nationale – afin de les inciter à soutenir le gouvernement. Une initiative qui intervient après une déclaration de Youssef Chahed passée quasiment inaperçue. Et où ce dernier affirmait qu’en cas de candidature de M. Essebsi à la présidentielle de 2019, il ne se présenterait pas. De quoi laisser le champ libre à l’actuel chef de l’Etat.
Est-ce la raison pour laquelle il a souhaité apporter un soutien massif à Youssef Chahed dans l’épisode de la loi de finances ? Une telle alliance permettrait en tout cas de faire pression sur l’UGTT, membre de l’Accord de Carthage. Et caillou dans la chaussure du Premier ministre.

Médecin tunisien et chroniqueur à la radio, Meher Abassi s’intéresse de très près aux évolutions politiques de son pays.