Yémen : comment l’Arabie saoudite tente de se racheter

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13.04.2020

Riyad a décrété un cessez-le-feu de deux semaines au Yémen, alors que le pays connait une situation humanitaire catastrophique.

La fin de la guerre au Yémen n’a pas sonné. Loin de là. Mais en décrétant de manière unilatérale un cessez-le-feu, mercredi 8 avril, pour deux semaines – prolongations possibles -, l’Arabie saoudite a clairement indiqué que le conflit yéménite n’était plus l’une de ses priorités. Un secret de Polichinelle, tant il ne fait plus mystère que l’affrontement entre la coalition saoudienne, qui épaule le gouvernement en exil d’Abd Rabbo Mansour Hadi, et les combattants houthistes, les rebelles chiites soutenus par l’Iran – ennemi juré des Saoudiens -, est désastreux, en termes pécuniaire et de réputation, pour le royaume wahhabite.

Accès aux soins compromis

Officiellement, Riyad, par la voix du colonel Turki al-Maliki, le porte-parole de la coalition saoudienne, a répondu à l’appel lancé le 25 mars dernier par le secrétaire général des Nations unies (ONU), Antonio Guterres, à faire cesser les combats au Yémen. Ceci pour appréhender le mieux possible la crise sanitaire entraînée par la pandémie de Covid-19, dans un pays qui connait déjà « la pire crise humanitaire du monde » selon l’ONU. Un premier cas de contamination par le coronavirus a d’ailleurs été répertorié au Yémen vendredi 10 avril.

Officieusement, personne ne s’y est trompé, le cessez-le-feu saoudien, salué par une partie de la communauté internationale, dont M. Guterres et les Etats-Unis, mais dépeint comme une « manœuvre politique et médiatique » par les Houthis – qui l’ont refusé -, a été décidé pour des motifs bien moins désintéressés. Décidée en mars 2015 pour que le prince héritier saoudien, Mohamed ben Salman (dit « MBS »), puisse se faire un nom sur la scène géopolitique, la guerre au Yémen n’a fait que desservir le royaume saoudien. Accusé, entre autres, de viser des cibles civiles et d’avoir précipité le pays dans une situation humanitaire catastrophique.

« L’ampleur, la gravité et la complexité des besoins au Yémen sont stupéfiants, alertait le Bureau de coordination des affaires humanitaires de l’ONU le 8 avril. Alors que la crise entre dans sa sixième année, quelque 24 millions de personnes, soit 80 % de la population total, continuent d’avoir besoin d’une forme d’assistance ou de protection et près de la moitié des familles sont dans un besoin aigu. » Sur 333 gouvernorats, ajoute le Bureau, plus de 230 sont en situation d’insécurité alimentaire. Et « l’intensification du conflit a compromis l’accès aux soins de santé », la moitié seulement des établissements de santé au Yémen fonctionnant.

Sortir de l’inextricable

Ce marasme valait bien un réexamen de la situation de la part de l’Arabie saoudite. Qui, après avoir décrété le cessez-le-feu, a exhorté les rebelles Houthis à se ranger derrière une plus qu’hypothétique solution politique. Pour l’instant, les combattants chiites ont la mainmise sur la capitale yéménite, Sanaa, et certains grands centres urbains ; ils s’estiment vainqueurs des affrontements avec la coalition saoudienne : pourquoi obtempèreraient-ils à l’injonction des Saoudiens, qui refuseront vraisemblablement dans le même temps de reconnaître la victoire de leurs adversaires – et, par conséquent, leur défaite ?

Partant, la situation semble bloquée. D’un côté, Riyad ne peut se permettre de poursuivre une guerre coûteuse, alors que les cours du pétrole – principale manne financière du royaume – ont chuté sous la barre des 25 dollars, en mars dernier, en raison du coronavirus et de la guerre des prix entre les pays de l’OPEP (Organisation des pays exportateurs de pétrole) et la Russie face aux Etats-Unis. D’autre part, les Saoudiens ne peuvent accepter la victoire des Houthis. Qui, même s’ils acceptaient le cessez-le-feu de Riyad, n’abandonneront sans doute pas leurs gains de territoire.

Inextricable, la guerre au Yémen doit pourtant cesser. Elle a fait en plus de cinq ans plusieurs dizaines de milliers de victimes, jusqu’à 110 000 selon l’ACLED. Et la situation humanitaire ne s’améliorera pas tant que les parties belligérantes n’auront pas stoppé une fois pour toutes le feu. Paradoxalement, c’est l’un des responsables de cette situation, l’Arabie saoudite, qui propose aujourd’hui la meilleure façon d’en sortir : la solution politique. La meilleure, mais également (et surtout) la plus chronophage. Or, de temps, les Yéménites ne disposent pas. La pandémie de coronavirus menace déjà de s’ajouter aux multiples maux du pays.

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