Massensen Cherbi : « Il n’y a pas de véritable bilinguisme dans la constitution algérienne »

Troisième temps de notre entretien avec l’expert en droit constitutionnel Massensen Cherbi sur la nouvelle constitution algérienne.

Dans la même idée, un avant-projet de loi visant à la déchéance de nationalité a été présenté le 3 mars dernier, lors d’une réunion du gouvernement. Qu’en pensez-vous ?

Il s’agit tout d’abord d’un avant-projet de loi discriminatoire, aussi bien sur un plan constitutionnel qu’un plan conventionnel, puisqu’il vise uniquement les Algériens de la diaspora. En effet, la pandémie du Coronavirus a mis entre parenthèses pendant près d’un an la présence du Hirak dans la rue algérienne, alors que la répression policière et législative s’accentuait au même moment. La diaspora est ainsi apparue comme un îlot de contestation avec le déconfinement en France et la démultiplication des lives à destination de l’Algérie.

Alors que le régime était jusque-là impuissant à réprimer cette opposition située à l’étranger, l’avant-projet de loi relatif à la déchéance de nationalité permet désormais d’en menacer la liberté d’expression à distance. En effet, la déchéance de nationalité pourra être prononcée pour atteinte à l’unité nationale. Or, cette atteinte à l’unité nationale renvoie à l’article 79 du Code pénal algérien, qui constitue une disposition peu claire et peu précise, contraire au principe constitutionnel et conventionnel de légalité des délits et des peines. L’atteinte à l’unité nationale a d’ailleurs servi de fondement à la condamnation de plusieurs activistes du Hirak. Ainsi de l’homme politique Karim Tabbou, pour avoir critiqué le haut commandement militaire, ou de Khaled Drareni, pour avoir critiqué la légitimé du président de la République.

Une autre nouveauté de la révision constitutionnelle est celle relative à l’insertion du tamazight comme disposition qui ne peut faire l’objet de révision. Un commentaire ?

Le tamazight est devenu langue nationale en 2002 et langue officielle en 2016. L’introduction de la langue berbère parmi les dispositions insusceptibles de révision réduit donc une discrimination par rapport à la langue arabe dans la Constitution. Cependant, ces limites à révision de la Constitution n’ont qu’une valeur morale (Francis Hamon, Michel Troper), c’est-à-dire qu’une révision constitutionnelle par référendum peut venir les supprimer et ainsi permettre de passer outre ces limites. Il en a ainsi été de la disparition de toute mention relative au socialisme dans la Constitution de 1989, alors que la Constitution de 1976 en avait fait une option irréversible du peuple algérien.

En réalité, le statut du tamazight ne change pas et il n’y a pas de véritable bilinguisme à la lecture de la constitution algérienne. En effet, celle-ci distingue entre l’arabe qui « demeure » « la » langue officielle « de l’Etat » (art. 3, al. 2) et le tamazight qui est « également », « une » (sous-entendu), langue nationale et officielle d’on ne sait quoi (art. 4, al. 1), soumise pour son officialisation à une loi organique (art. 4, al. 5), jamais promulguée depuis cinq ans.

Un véritable bilinguisme aurait simplement consisté en la reconnaissance dans un même article de l’arabe et du tamazight, sans distinction et hiérarchie entre les deux langues, à l’image des Constitutions canadienne et suisse. Une telle disposition permettrait ainsi leur libre épanouissement institutionnel, sans chercher à les opposer, mais en les considérant au contraire comme deux éléments complémentaires de l’identité algérienne et du « tissu continu » nord-africain.

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