Hajer Rissouni, une journaliste marocaine, a été condamnée le 30 septembre dernier à un an de prison pour avoir avorté illégalement.
La journaliste n’est pas la seule à avoir écopé d’une peine d’emprisonnement. Son fiancé et son gynécologue ont écopé d’un an de prison ferme chacun. L’anesthésiste et la secrétaire ont quant à eux écopé respectivement d’un an de prison avec sursis et huit mois avec sursis.
Fin août, elle avait été sollicitée par un cabinet médical afin de subir des examens. Hajer s’est dite contrainte de faire un « examen médical » sans son accord, selon ses dires. Les avocats de l’accusée avaient dénoncé de la « torture » et des « manquements de la police judiciaire » et des « preuves fabriquées », et ont plaidé pour sa libération.
Code de la famille
Au Maroc, le bilan est mitigé sur son arrestation. A se demander si la journaliste a été arrêtée à cause des lois jugées archaïques sur la liberté des femmes à disposer de leur corps ou suite à un règlement de compte depuis que cette dernière s’est engagée dans la cause rifaine.
Dans la première hypothèse, on ne sort pas du triptyque classique mort, sexe, religion qui se trouve au cœur de la misogynie du moyen-orientale ; la société phallocratique dans la quelle vivent les femmes dans la région ne fait qu’instrumentaliser la religion à leur encontre.
Si dans les pays du Golfe, à leur tête, le royaume saoudien, les femmes n’avaient pas le droit de conduire jusqu’en 2017, en restant malgré cette avancée dissimulées et assignées à résidence en n’ayant pas le droit de voyager sans demander l’autorisation de leurs protecteurs. Dans les pays nord-africain, la situation des femmes est relativement meilleure mais pas exemplaire.
Par exemple, en Tunisie, pays réputé pour les droits de la femme et la parité : les femmes issues du milieu rural travaillent encore dans le secteur informel et perdent la vie dans des accidents routiers par manque de moyens : dans des camions qui les transportent comme du bétail ; entassées les unes sur les autres. Et la loi sur l’égalité d’héritage n’a été ni adoptée ni votée.
En Algérie, le code de la famille provoque encore la colère des militants féministe par son référentiel islamiste en ce qui concerne le mariage et le divorce : les femmes se marient toujours avec l’autorisation obligatoire du tuteur et la polygamie n’est pas interdite par la loi.
Au Maroc, les choses ne sont pas meilleures, le constat se dresse cette fois-ci avec l’arrestation de Hajer emprisonnée pour un avortement : soit une décision personnelle qui ne devrait être que de son ressort à elle et du père de l’enfant. Mais quand les politiques s’invitent dans nos chambres à coucher, dans nos salles de bain et dans les cabinets de gynécologue la résultante est là.
« Tentations »
Difficile de croire que le Maroc occupait la 129ème place dans le classement établi par le forum économique mondial dans son rapport sur la parité entre les hommes et les femmes. Ce pays, souvent cité en exemple pour ses lois progressistes sur la famille d’après un rapport de 2005 écrit par des « experts » occidentaux considèrent que le royaume serait un exemple à suivre pour les pays musulmans qui aspirent à venir grossir le rang des sociétés modernes.
Le rapport de ces sociétés à la religion musulmane ancre l’obsession des extrémistes à vouloir contrôler les femmes et leur corps. Cette envie découle souvent de la suspicion que, livrées à elles mêmes, les femmes seraient la proie d’une sexualité quasi-insatiable, ce qui explique les pratiques d’excision qui se font toujours en Egypte et que le très populaire chef religieux égyptien Youssef al-Qardaoui défend en considérant que les mutilations génitales féminines à savoir la circoncision réduisent les « tentations ».
Résultat, la détestation des femmes est courante elles sont présentées comme un danger potentiel, en mesure de nuire au respect des « normes sociales ». Et ce, même dans les pays se disant « progressistes ».
Et ce que Hajer a subi, des milliers de femmes subissent tous les jours en étant terrorisées à l’idée d’avorter ou de disposer librement de leur corps. La société les guette et le poids des stéréotypes pèse sur leur épanouissement et leur développement.
Procès politique ou affaire de mœurs ?
L’autre hypothèse, serait que Hajer a été emprisonnée suite à son engagement dans le combat rifain. Et si le gouvernement lui faisait pays sa couverture des du hirak du RIF ; la question relancerait donc le débat sur la liberté de la presse.
Pourtant, cette lourde condamnation n’a pas fait grand bruit en France à l’inverse de l’affaire de Mariem, la jeune fille violée par des policiers en Tunisie ou encore les négociations autour de la loi sur l’égalité d’héritage ou l’affaire du couple arrêté pour un « bisou ». C’est comme si l’occident était sélectif quant à ce qui est scandaleux et ce qui ne l’est pas en matière de libertés individuelles.
Quant à nous, il est important de nous rappeler que le printemps arabe ne peut réussir et les révolutions aboutir sans libérer les femmes. Après tout, est ce qu’on ne devrait pas d’abord s’assurer que les droits fondamentaux de tout être humain sont respectés avant de se préoccuper des demandes spécifiques des femmes ?
Et puis qu’est ce que le genre a à voir avec le printemps arabe ? Tout. Parce que c’est notre chance de mettre à bas un système tant politique qu’économique qui traite la moitié de l’humanité comme des enfants et ce, dans le meilleur des cas…
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Mounira Elbouti est doctorante et enseigante à l’IMT Business School. Elle s’intéresse à l’analyse de l’évolution des sociétés maghrébines post-« printemps arabe » et s’est spécialisée dans les questions de genre, de leadership et de transformation digitale. Elle a déjà collaboré avec le HuffingtonPost Maghreb, Le Mondafrique, Tunis Hebdo et Liberté Algérie.