Sur la base d’une demande écrite, les détenus définitivement condamnés peuvent bénéficier de modules d’enseignement religieux.
Depuis plusieurs mois, les États européens sont confrontés à la délicate question du retour des enfants, des épouses mais aussi des soldats de Daech. Le 9 décembre dernier, les Français apprenaient que la Turquie leur renvoyait onze épouses et enfants. En novembre, c’est neuf soldats qu’Ankara rendait à l’Allemagne et plusieurs à la Belgique. Le Royaume-Uni, l’Italie et certains pays scandinaves sont également concernés.
Mais les pays européens ne sont pas les seuls à devoir faire face à ce problème. Les pays du Maghreb le sont également, la Tunisie et le Maroc en premier lieu. Une étude de l’Institut Thomas More analyse ainsi la stratégie de déradicalisation et de lutte contre les discours radicaux mise en place par Rabat. Une analyse riche d’enseignements.
Sur le plan sécuritaire, les attentats meurtriers de Casablanca de 2003 ont sonné comme un sanglant avertissement. Les autorités du Royaume Chérifien comprennent la nécessité d’une restructuration des services de sécurité : regroupement des structures, réorganisation hiérarchique, mutualisation des moyens et des informations, etc. En 2015, le Bureau central des investigations judiciaires (BCIJ), spécialisé dans le contre-terrorisme, voit le jour et s’attache à démanteler les foyers de radicalisation et les cellules terroristes. Un travail plutôt efficace. Aucun attentat ne s’est produit sur le sol marocain depuis celui de Marrakech en 2011, 71 personnes arrêtées et 20 cellules terroristes démantelées en 2018.
Sécurité et travail sur les mentalités
Mais la spécificité de la stratégie marocaine est que le pays a su comprendre qu’à celle de la surveillance et à l’action sécuritaire, il fallait ajouter une seconde corde à son arc : celle du travail sur les mentalités et du remplacement du discours radical par un « récit » alternatif. « L’éducation et l’anticipation trouvent leur juste place dans la stratégie marocaine », note Sophie de Peyret qui a rédigé l’étude de l’Institut Thomas-More.
C’est dans ce cadre qu’a été mise en place le programme de lutte contre la radicalisation dans les prisons en août 2017, baptisé « Réconciliation ». Sur la base d’une demande écrite, signe d’une démarche volontaire, les détenus définitivement condamnés peuvent bénéficier de modules d’enseignement allant de la compréhension des textes religieux à l’accompagnement psychologique en passant par des aides à la réinsertion. Mohamed Saleh Tamek, directeur de l’administration pénitentiaire, explique que le programme comporte des « conférences destinées à réfuter les fondements de l’idéologie islamistes, essentiellement les idées les plus répandues sur le jihad (guerre sainte), l’apostasie ou la légitimité du calife déclaré par le soi-disant État islamique ». En 2018, ce sont près de trois cents détenus qui ont bénéficié de ce programme sur les quatre sites de Tiflet, Tanger, Meknès et Casablanca.
Autre axe d’action : la construction d’un « récit » alternatif. Et là, c’est la Rabita Mohammedia des Oulemas qui est à la manœuvre en déployant différents programmes de lutte contre les discours radicaux. La contestation des thèses jihadistes exige en effet qu’une autorité religieuse légitime en décèle les failles, les incohérences et les erreurs : manière de prier, soin accordé à l’éducation, alors que Daesh prétend reproduire les comportements et les ambitions des premiers temps de l’islam, les Oulémas s’emploient à démontrer les incohérences.
La jeunesse sensibilisée
Pour diffuser ce discours alternatif, en particulier en direction des jeunes, les autorités marocaines utilisent tous les moyens et tous les supports. C’est ainsi qu’on a vu fleurir dans les écoles de petits fascicules aux allures de mangas, qui abordent les thèmes de l’embrigadement ou des processus de radicalisation. Le site chababe.ma (« chabab » veut dire jeune), lancé en 2017, s’inscrit lui aussi dans cette démarche. Cette plateforme numérique propose des contenus variés tels qu’un site web interactif, une web-tv, un forum de discussion, etc. Pour les adultes, le site arrabitacademy.ma publie quant à lui des contenus scientifiques destinés à délégitimer le discours extrémiste grâce à la contextualisation et le raisonnement.
C’est donc un système global et transversal que le Maroc s’emploie à mettre en place. Car la lutte contre le salafisme et le jihadiste est vaine si elle n’est pas soutenue par un discours religieux alternatif, la promotion de la wasatiyya (l’« islam du juste milieu » que promeut le royaume) est vouée à l’échec sans une déconstruction méthodique et scientifique de l’argumentaire islamiste. Sophie de Peyret commente : « sécuritaire, social, pédagogie, éducation, le défi consiste à agir de manière simultanée sur des domaines variés mais indissociables. Avec des succès évidement inégaux, le pays s’est clairement engagé dans cette voie ». Une voie qui intéresse de plus en plus les autres pays, confrontés aux mêmes problématiques. D’Afrique, d’Asie et d’Europe, les voyages d’études au Maroc de spécialistes du contre-terrorisme se multiplient…
