Du rififi autour des revenus pétroliers en Libye

Les réserves d’or noir libyennes, évaluée à 49 milliards de barils, sont les plus importantes du continent africain.

En 2018, les recettes du secteur pétrolier libyen ont affiché 4 milliards de dollars, selon l’agence Ecofin. Par rapport à 2017, le l’Etat a donc enregistré une hausse de 78 % de ses rentrées issues de l’or noir. Une embellie due notamment à l’amélioration de la situation sécuritaire dans le « croissant pétrolier » (Est). Même si quelques affrontements ont lieu ici et là. Mustafa Sanallah, le patron de la société publique du pétrole, la National Oil Corporation (NOC), a ainsi promis que la situation sécuritaire s’améliorerait progressivement. Ceci pour que la production de brut atteigne les 2 millions de barils par jour d’ici quelques années.

Partition du pays

Ce que M. Sanallah ne dit pas, en revanche, c’est que le dossier pétrolier est partie prenante de la crise en Libye. Car celui-ci a contribué, notamment, à la « réémergence du conflit historique entre l’Est et l’Ouest, autrement dit entre Benghazi et Tripoli », expliquait Moncef Djaziri, enseignant-chercheur spécialiste de la Libye, dans une tribune publiée en décembre dernier. Si bien que l’or noir, (res)source de tous les maux libyens du moment (ou presque), a créé son lot de remous, internes comme externes, dans le pays du nord de l’Afrique.

« Les habitants de l’est de la Libye, considérant que plus de 80 % des ressources énergétiques sont situées sur leur territoire (le croissant pétrolier), affirment avoir droit à une large part des ressources énergétiques (estimées à 49 milliards de barils), d’après Moncef Djaziri. De leur côté, les Tripolitains, arguant du fait que la majeure partie de la population se trouve sur cette partie du territoire, revendiquent la direction du pays, notamment en ce qui concerne la répartition des richesses. »

En juin dernier, le maréchal Khalifa Haftar, surnommé « l’homme fort de l’est libyen », avait décidé de confier la gestion des sites pétroliers aux « autorités parallèles » de l’Est. Autrement dit : il souhaitait soustraire les puits de pétrole de la région au contrôle de Tripoli et du gouvernement d’union nationale, dirigé par Fayez el-Sarraj. Pour certains, l’ancien partisan de Mouammar Kadhafi, à la tête de l’Armée nationale libyenne (ANL), posait ainsi les jalons d’une future partition du pays. L’entreprise, motivée vraisemblablement par des raisons politiques, n’a cependant duré que quelques semaines. Et le gouvernement a rapidement repris le contrôle des terminaux visés. Après quoi les exportations ont pu reprendre.

Conférence nationale

Les réserves de pétrole, estimées à 49 milliards de barils – les plus importantes en Afrique -, n’attisent pas que les convoitises des différentes parties libyennes. La National Oil Corporation (NOC), compagnie d’Etat libyenne, partage par exemple sa rente avec d’autres groupes. Au premier rang desquels l’italien ENI et, loin derrière, le français Total – une grande majorité de l’or noir libyen est exportée en Europe : Italie, Allemagne et France en particulier. Tout sauf un hasard, par conséquent, de voir les deux Etats européens tenter, chacun de leur côté, de résoudre la crise libyenne ? En tout cas, selon Moncef Djaziri, l’omniprésence des deux diplomaties en Libye s’avère problématique : « Trop d’intérêts contradictoires se neutralisent, conduisant à la paralysie actuelle ».

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Paris a organisé, le 29 mai dernier, une rencontre « historique », selon le président français, Emmanuel Macron, entre tous les protagonistes de la crise, qui devait déboucher sur un dialogue inter-parties et, surtout, des élections en décembre dernier. Echec, donc, puisque les scrutins n’ont pas eu lieu. Les parties à la crise libyenne se sont ensuite réunis à Palerme (Italie), en novembre dernier, sans plus de réussite. « Les différentes conférences internationales […] n’ont pas permis véritablement de sortir de l’impasse. Elles ont, au contraire, exacerbé la compétition entre puissances et aggravé la confusion », estime Moncef Djaziri.

Rome, ancienne puissance coloniale en Libye – et soutien du gouvernement d’union nationale -, voyait d’un mauvais œil le rôle que souhaitait s’arroger Paris, forte déjà de deux réunions sur la crise libyenne. Certains estiment à présent que les Nations unies doivent remettre la main sur le dossier et tenter de parler d’une seule voix. La question du pétrole, d’ailleurs, devrait être abordée dans quelques jours, alors que doit se tenir une conférence nationale, sous l’égide de l’ONU, pour recréer du dialogue entre les parties libyennes. « Nous avons besoin d’un véritable débat national sur la répartition équitable des revenus pétroliers. La vraie solution est la transparence », avait affirmé Mustafa Sanallah, en juillet dernier, après que Tripoli avait remis la main sur les terminaux de l’Est.

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