Le régime s’est mis une grande partie du pays à dos, alors qu’une manifestation d’ampleur doit avoir lieu vendredi.
La pilule ne passe décidément pas, en Algérie, où des manifestations ont lieu ce jour, comme chaque vendredi depuis 4 semaines, pour protester contre le prolongement du mandat d’Abdelaziz Bouteflika. Le président de la République, qui a annoncé le 11 mars dernier qu’il refusait de briguer un (très polémique) 5ème mandat – mais reculait sine die la tenue du scrutin présidentiel – n’a pas réussi à calmer son peuple. Loin de se satisfaire (euphémisme) des manœuvres du régime en place, qui cherche à assurer lui-même la « transition politique » en Algérie, en organisant une « conférence nationale », notamment, qui devrait se tenir d’ici la fin de l’année. Depuis quelques jours, d’ailleurs, les pancartes ont troqué le désormais célèbre « Non au 5ème mandat » pour le « Non au 4ème mandat prolongé et à la violation de la Constitution ».
« Votre mouvement de libération »
D’après le quotidien algérien El Watan, non seulement « l’apaisement espéré par le pouvoir n’a pas eu lieu », mais ce dernier n’a vraisemblablement pas entendu le cri de la rue – où des millions d’Algériens se sont d’ores et déjà réunis en quelques semaines -, qui appelle à un changement global et radical. « Les deux figures remises en selle, Lakhdar Brahimi, ancien ministre des Affaires étrangères […], Ramtane Lamamra, redevenu chef de la diplomatie, pour tenter d’assurer le ‘‘service après-vente’’, sont brocardées sur les réseaux sociaux. […] Aux yeux de beaucoup d’Algériens, ‘‘ces deux personnages font partie du système sommé de dégager’’ », indique le média. Qui prête à la rue algérienne ce mot plein d’esprit : « On a demandé des élections sans Bouteflika, ils nous ont mis Bouteflika sans les élections ».
Résultat, le « système » s’est mis à dos une grande partie de l’Algérie, des formations politiques d’opposition aux syndicats de l’éducation nationale, en passant, bien évidemment, par la population. Et notamment la jeunesse – 45 % des Algériens ont moins de 25 ans -, à qui l’icône de la révolution algérienne Djamila Bouhired a voulu rendre hommage, dans une lettre « qui restera sans doute dans les annales » selon El Watan. « Après des semaines d’une lutte pacifique […] votre mouvement est à la croisée des chemins ; sans votre vigilance, il risque de sombrer dans le catalogue des révolutions manquées. […] Ne laissez pas [les] agents [du pouvoir], camouflés dans des habits révolutionnaires, prendre le contrôle de votre mouvement de libération », a martelé celle qui avait déambulé le 1er mars dernier aux côtés des manifestants.
Frapper l’Etat au portefeuille
Même au sein de Sonatrach, la compagnie pétrolière algérienne et poumon économique de l’Algérie – considérée comme l’une des plus importantes entreprises du continent africain -, les voix discordantes se font entendre. Peu après qu’Abdelaziz Bouteflika a annoncé qu’il prolongeait son 4ème mandat, le 11 mars dernier, le personnel administratif de la société a commencé à entonner les slogans de la rue, en tenant un sit-in devant les grilles du siège, à Alger. Ceci alors que le directeur exécutif des ressources humaines de la compagnie, Kamel Brouri, avait averti un peu plus tôt ses employés « que tout rassemblement de quelque nature que ce soit ou arrête collectif et concerté de travail […] constitue une faute professionnelle ». Le responsable arguant de la « responsabilité sociétale » de Sonatrach, « locomotive de l’économie nationale », pour court-circuiter toute tentative de protestation.
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Si le mouvement de grève ne s’est pas étendu davantage, au sein de la compagnie pétrolière, c’est, de l’aveu de certains de ses employés, pour ne pas interrompre la production d’hydrocarbures. Et non parce que ces derniers resteraient impassibles devant les protestations qui émaillent l’Algérie depuis 4 semaines. A ce titre, le rédacteur en chef d’Algérie Part, Abdou Semmar, expliquait récemment que seule une grève de grande ampleur dans le secteur pétrolier pouvait faire infléchir le pouvoir en place. Qui, pour rappel, touche chaque année quelque 33 milliards de dollars de l’exploitation des hydrocarbures. L’étape d’après, pour les Algériens, serait-elle de frapper l’Etat au portefeuille ?

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