Les succès électoraux de mouvements chiites au Liban et en Irak braqueront-ils un peu plus les Saoudiens à l’égard de l’Iran ?
La géopolitique du Moyen-Orient ne se résume bien évidemment pas à l’aspect religieux. Certains diront même que c’est le dernier critère à l’aune duquel juger les relations entre les acteurs de cette région, très mouvementées ces derniers temps. La preuve : l’Arabie saoudite et Israël ne s’entendent-ils pas, de manière de plus en plus officielle, sur leur commune détestation de l’Iran, alors que leurs relations diplomatiques sont censées être inexistantes ? Politique, énergie, économie, société ; tous les prismes de lecture semblent prendre le dessus sur le religieux pour étudier les rapports moyen-orientaux.
Guerre d’influence
Difficile, pourtant, de passer sous silence – voire de ne pas rapprocher – les victoires électorales des populations chiites du Liban et d’Irak. Le 8 mai dernier, les résultats des législatives au Pays du Cèdre donnaient le Hezbollah, mouvement politique affilié à l’Iran, grand vainqueur du scrutin – le parti du Premier ministre Saad Hariri, le Courant du Futur, perdant quant à lui le tiers de ses sièges au Parlement. En Irak, c’est la Marche pour les réformes, alliance inédite du chef religieux chiite Moqtada al-Sadr et des communistes -, qui est arrivée en tête dans 18 provinces, dont Bagdad, après les législatives de samedi dernier.
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Pourquoi relier ces deux événements et, surtout, en quoi constituent-ils deux faits marquants ? Tout d’abord, au Liban, pays extrêmement instable car victime de la « guerre » d’influence que se livrent Saoudiens et Iraniens, le Hezbollah a souvent fait figure d’épouvantail, accusé de rouler pour les intérêts de Téhéran. En novembre dernier, d’ailleurs, le prince héritier saoudien, Mohamed ben Salman, avait exigé de M. Hariri qu’il remette sa démission, ayant échoué, selon le futur monarque, à endiguer l’influence iranienne dans son pays. On n’ose imaginer quelle a été sa réaction à la découverte des résultats du scrutin libanais.
Diabolisation
En Irak, où la politique pro-chiite du Premier ministre sortant, Haïder al-Abadi, a pu crisper les populations sunnites du pays – et de la région ? -, le succès d’un mouvement chiite aux accents révolutionnaires interpelle nécessairement. Car c’est aux cris de « victoire sur les corrompus » et de « nouvelle étape pour le peuple irakien » que celui-ci a célébré les résultats, promettant de faire le ménage dans la politique, dont les rênes appartenaient pourtant au même bord religieux. Comment un tel élan de démocratie provenant des chiites sera perçu par Riyad, en plein chantier sociétal, économique et politique de son côté ?
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Les deux élections devraient conforter les Saoudiens dans leur posture visant à diaboliser à l’extrême les Iraniens. Ceci alors que les chiites irakiens ont toujours entretenu des relations particulières avec leur « maison-mère » iranienne, lui tournant le dos par moments, comme lors de la guerre Iran-Irak dans les années 1980. Mais l’Arabie saoudite surfe sérieusement depuis quelques mois sur la rengaine anti-Iran, accusant la République islamique – comme depuis son avènement en 1979 – de vouloir étendre son influence sur tout le Moyen-Orient. Et le royaume ne devrait pas relâcher la pression de sitôt.
