L’Arabie saoudite, porte-flingue de l’industrie belge au Yémen

L’économie wallonne n’est pas la seule à s’être nourrie de la guerre au Yémen, rappelle Sébastien Boussois.

Une fois encore, la raison politique semble l’emporter sur la raison humaine dans cette sinistre affaire d’utilisation d’armes belges au Yémen. Depuis plusieurs années, l’on savait que des armes fabriquées à Herstal, en Belgique, s’étaient retrouvées au milieu du champ de bataille syrien, puis depuis quelques mois qu’elles alimentaient « peut-être » l’opération de mort menée par l’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis au Yémen. Dont les Nations unies (ONU) rappellent sans cesse qu’il s’agit de « la pire crise humanitaire du monde ».

Morts à n’en plus compter

Aujourd’hui, les preuves semblent s’accumuler et de facto mettre en difficulté le gouvernement belge. Idem côté français, où un cargo saoudien qui devait embarquer des armes françaises au Havre avait fait la même opération le 23 janvier 2019 à Anvers. L’enquête internationale dévoilée ces jours-ci, à laquelle a contribué Le Soir, n’est pas une surprise. Mais au-delà de la suspicion, les preuves par le texte comme les images existent : la terrible guerre menée par Riyad et Abu Dhabi, au nom de la lutte mondiale contre le terrorisme – qui a toujours bon dos pour nos « alliés » -, visant à éradiquer la rébellion houthiste pilotée par Téhéran, se ferait avec le soutien implicite de l’économie belge.

Depuis 2014, la prise de Sanaa par les Houthis chatouille la botte du pouvoir saoudien autant qu’elle représente son talon d’Achille. Il fallait donc montrer les dents et venir à bout de cette déstabilisation méridionale de la Péninsule arabique. Coûte que coûte. Mohamed ben Salman (dit « MBS »), prince apprenti diplomate et sorcier militaire, se lança dans cette guerre en mai 2015, largement appuyé par son mentor, Mohamed ben Zayed, prince héritier des Emirats arabes unis, en convaincant la communauté internationale de laisser faire. « L’ennemi, c’était bien l’autre », après tout.

Bilan, après plus de 4 ans de guerre : plus de 70 000 individus tués, selon l’ACLED, quand les chiffres officiels n’en mentionnent « que » 10 000. Quant aux images, chaque jour, elles arrivent par flots via les agences de presse, révélant l’ampleur du drame humanitaire qui pourrait s’apparenter, bientôt, à un génocide du peuple yéménite. Morts à n’en plus compter, et morts-vivants, pour les plus « chanceux », à n’en plus finir.

Cynisme politique

Si les autorités belges ont déclaré, samedi dernier, qu’elles accepteraient de suspendre leurs ventes d’armes à l’Arabie saoudite si elles étaient utilisées au Yémen, l’économie wallonne a continué à se nourrir de cette guerre. Les dernières révélations du Soir le prouvent : des armes et chars belges ont servi dans des opérations de destruction de la société yéménite. Le jour même des révélations de l’enquête, le 8 mai 2019, le président-ministre de Wallonie, Willy Borsus, et ce en pleine campagne pour les élections européennes le 26 mai prochain, affirmait qu’il se saisirait avec force du dossier. Soit. Mais depuis l’affaire Khashoggi, n’aurait-il pas dû couper également les échanges commerciaux avec l’Arabie saoudite, alors que tous les soupçons quant à la mort du journaliste convergent vers MBS ?

Alors que ces échanges, pour des opérations de guerre, auraient effectivement dû être purement stoppés fin 2018, il se pourrait qu’en 2019, la Wallonie poursuive son petit trafic de mort.

« Oui, l’industrie wallonne mais aussi flamande nourrit cette guerre au Yémen, dont la population civile est la première victime ; oui, des blindés légers ont récemment été vendus à la monarchie bahreïnie bien que celle-ci ait fait montre d’une rare violence à l’égard des manifestations pacifistes de 2011 ; oui, des armes belges sont utilisées par les cartels mexicains pour faire régner la terreur ; oui, des Belges ont aménagé des stands de tir aux Emirats arabes unis, un des pays les plus impliqués dans la guerre au Yémen. Oui, confirme l’enquête collective #BelgianArms, nos exportations d’armes pèchent par manque de contrôle et de transparence », écrivait Le Soir le 8 mai dernier.

Pour rappel, Willy Borsus répétait pourtant à l’envi, il y a quelques jours, qu’il avait déjà demandé « dès 2017 aux entreprises wallonnes actives dans l’armement de diversifier leurs activités dans un délai de 5 ans. » Un bel exemple de cynisme politique ? Quoi qu’il en soit, montrer du doigt la Belgique ne doit pas faire oublier les 5 membres permanents du Conseil de sécurité, qui restent encore et toujours les plus grands trafiquants d’armes au monde. Notamment, au hasard, la France. Le 8 mai au soir, on apprenait qu’un cargo saoudien, le Bahri Yambu, devait accoster au Havre pour emporter à son bord des armes. Direction le Yémen ? Possible. Le bateau continuera finalement sa route sans la cargaison polémique. Jusqu’à une prochaine fois ?

Lire aussi : Au Yémen, enfin quelques signes d’espoir

 

Dernier livre de Sébastien Boussois : Pays du Golfe, les dessous d’une crise mondiale (Armand Colin, 2019).

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