En Tunisie, la bataille pour l’égalité dans l’héritage ne fait que commencer

Avec ce projet de loi, Béji Caïd Essebsi tente de redorer son bilan, à l’approche de la fin de son mandat.

« Nous allons inverser la situation ». Hier, le président tunisien, Béji Caïd Essebsi (BCE), n’a pas mâché ses mots pour présenter son nouveau projet de loi, relatif à l’égalité homme-femme dans l’héritage. En Tunisie, à rang successoral équivalent, les femmes touchent actuellement la moitié de la part réservée aux hommes, en application de principes islamiques. Une absurdité à laquelle le chef de l’Etat tunisien souhaite mettre fin. Brandissant la Constitution de 2014, BCE – qui a profité de la Journée nationale de la femme pour délivrer son annonce – a justifié cette évolution en s’appuyant sur le texte suprême tunisien, dont l’article 21 évoque un état civil et l’égalité entre les citoyens « sans discrimination aucune ».

« Monde du progrès »

Le futur texte de loi prend sa source dans les travaux de la Commission pour les libertés individuelles et l’égalité (Colibe), créée il y a un an et chargée par BCE de proposer des mesures pour améliorer les libertés individuelles en Tunisie. Mais également se conformer à la Constitution et aux standards internationaux. « En matière d’héritage, nous avons proposé trois options : l’égalité totale ; l’égalité de principe avec possibilité donnée au de cujus [la personne dont on débat de la succession, ndlr] de s’y opposer ; l’égalité à la demande des héritières » a expliqué Bochra Belhadj ben Hamida, présidente de la Colibe. Qui a opté, tout comme le président tunisien, pour la deuxième option.

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D’après le quotidien tunisien La Presse, il s’agit là d’une « action pionnière et avant-gardiste qui inscrit plus que jamais la Tunisie dans son passé de locomotive progressiste du monde arabo-musulman, tout comme dans son avenir soucieux de conserver sa place dans le monde du progrès, de la modernité et de l’ouverture. » Fin tacticien, le chef de l’Etat tunisien a effectivement fait allusion à son lointain prédécesseur, Habib Bourguiba, qui avait promulgué en 1956, alors qu’il n’était que Premier ministre, le Code du statut personnel (CSP), considéré comme l’une des plus grandes mesures pour l’égalité homme-femme dans le monde arabo-musulman.

Tabou religieux

Celui-ci prévoyait, entre autres, l’abolition de la polygamie, une procédure judiciaire pour le divorce ou encore le consentement mutuel des deux époux pour se marier. Et donnait, globalement, à la femme une place inédite dans la société tunisienne. D’après BCE, qui souhaite marquer du sceau progressiste la fin de son mandat – dont le terme arrive en 2019 -, l’égalité homme-femme dans l’héritage « aurait dû être fait dès 1956, dans la foulée [du CSP]. Mais il n’y avait pas à l’époque une Constitution pouvant lui servir de référence et d’appui. » Se rêve-t-il, comme son mentor en politique, en président de la modernité ? Il y a tout lieu de le penser ; d’autant plus que le chef de l’Etat tunisien n’a, pour l’instant, pas un excellent bilan.

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Et la fin de l’inégalité homme-femme dans l’héritage fera grincer des dents quoi qu’il arrive. L’annonce de BCE a été froidement accueillie par les milieux religieux les plus conservateurs du pays, qui considèrent que le projet de loi transgresserait un tabou religieux. Ces derniers n’ont pas hésité à relayer certaines intox dénichées sur les réseaux sociaux, d’après lesquelles la loi aurait en réalité pour but ultime de sortir la Tunisie du monde musulman. Un rassemblement de 5 000 personnes a d’ailleurs eu lieu le week-end dernier à Tunis, devant le Parlement, à l’appel de certains religieux. Ce qui devrait se répéter jusqu’à ce que les députés aient connaissance du texte, à la fin des vacances parlementaires, en octobre prochain.

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