Afin de protéger le prince héritier, Riyad cherche à légitimer le procès des Saoudiens qui ont pris part au meurtre du journaliste.
Plus le temps passe, et plus l’affaire Khashoggi ressemble à une partie de poker menteur. Où, visiblement, tous les coups semblent permis, de la part des autorités saoudiennes. Qui pourraient perdre (très) gros. Et dont la mise ne peut se réduire à une « simple » somme d’argent.
Intérêts à défendre
Pour rappel, l’assassinat du journaliste saoudien, le 2 octobre dernier, au sein du consulat d’Arabie saoudite à Istanbul (Turquie), a révélé aux yeux du monde les pratiques moyenâgeuses du prince héritier Mohamed ben Salman (MBS) – le responsable numéro 1 selon la CIA -, dont on savait qu’il n’hésitait pas à emprisonner et réduire au silence toute opposition dans le royaume. Son péché mignon : l’incarcération et la torture de Saoudiennes luttant pour le droit des femmes, comme le révélait Amnesty International en novembre dernier.
Depuis six mois, par conséquent, il s’agit de garder la face, pour le « fils préféré » du roi Salman, qui lui a quasiment confié toutes les clés du pays – de la réforme économique Vision 2030 aux interventions désastreuses au Yémen et contre le Qatar, en passant par l’ouverture de la société aux femmes. Il ne faudrait pas que les diplomaties, qui ont (trop rapidement) vu en MBS le réformateur tant attendu en Arabie saoudite, se mettent à le descendre en flèche. Il y a des intérêts (économiques et géopolitiques surtout) à défendre, tout de même.
Simulacre de justice
Raison pour laquelle après avoir nié catégoriquement l’assassinat de Jamal Khashoggi, Riyad a souhaité faire porter le chapeau à une équipe de barbouzes saoudiens. Dont le « procès » se tient depuis janvier dans la capitale. Problème, pour les autorités saoudiennes : le bluff est mauvais. Non seulement ce simulacre de justice se farde d’un huis clos, mais le régime a cru bon d’ « inviter » certains diplomates étrangers – français notamment -, ce qui n’a pas manqué de susciter des critiques de tout bord. Car la présence de ces « privilégiés », qui restent étonnamment silencieux, risque d’offrir une caution internationale à une procédure judiciaire plus que (et volontairement ?) floue.
Telle est la crainte d’Agnès Callamard, la rapporteuse spéciale des Nations unies (ONU) sur les exécution extrajudiciaires, chargée d’enquêter sur l’assassinat de Jamal Khashoggi. Ce que Riyad refuse catégoriquement. Même son de cloche chez Katia Roux, d’Amnesty International : « Les médias ne sont pas autorisés à assister au procès […] ce qui est extrêmement préoccupant. Dans ces conditions inacceptables, la présence de ces diplomates risque d’être perçue comme la légitimation d’un procès potentiellement marqué par des irrégularités. »
Faire le jeu des Saoudiens
Mais la brume qui entoure l’affaire Khashoggi ne tient pas qu’au procès fantoche de ces barbouzes. Le fait que Washington, soutien devant l’éternel de MBS depuis que Donald Trump est à la Maison-Blanche, ait interdit d’entrée sur son territoire 16 ressortissants saoudiens, en raison de « leurs rôles dans le meurtre » de Jamal Khashoggi, pose nécessairement question. L’administration américaine vise-t-elle ainsi à appuyer la narration du régime saoudien, qui souhaite imputer le meurtre du journaliste à ces Saoudiens de l’ombre ? Difficile à dire.
D’après l’agence officielle du royaume SPA, Trump et MBS se sont entretenus au téléphone il y a quelques jours. Pour parler de tout sauf de l’affaire Khashoggi, assure-t-on des deux côtés. S’il n’est guère surprenant que Washington, malgré des appels du pieds sérieux du Congrès américain, poursuive ses bonnes relations avec Riyad – le président américain compte sur son allié saoudien dans les dossiers iranien et israéol-palestinien notamment -, il est en revanche extrêmement préjudiciable que d’autres diplomaties, au premier rang desquelles la France, continuent de faire le jeu (économique et guerrier, avec les ventes d’armes par exemple) des Saoudiens. Dont les dés peuvent très bien mentir.
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