Après une enquête tentaculaire, l’entrée en vigueur d’une nouvelle loi antiterroriste met au ban les Frères musulmans autrichiens.
Une première dans l’Union européenne. Dans le cadre d’une nouvelle loi antiterroriste, le Parlement autrichien a voté le 8 juillet dernier l’interdiction des Frères musulmans sur l’ensemble du territoire fédéral. La conséquence d’une enquête tentaculaire menée par les services de renseignement autrichiens, dont les conclusions ont révélé la puissante emprise des Frères musulmans dans le pays. Mais aussi du choc né de l’attentat de Vienne qui avait, en novembre dernier, frappé l’Autriche en plein cœur. Désormais, la confrérie est inscrite sur la liste des organisations associées à la « criminalité à motivation religieuse », au même titre que l’État Islamique, le Hamas ou encore le Hezbollah. De leurs côtés, les Frères musulmans n’ont pas tardé à se mobiliser pour dénoncer une offensive « islamophobe » du gouvernement de coalition conservateur et écologiste.
Un pays-refuge pour les Frères musulmans
Seul pays de l’Union européenne à accorder un statut officiel à l’Islam -celui de collectivité de droit public-, l’Autriche a longtemps été la porte d’entrée financière et politique de la Confrérie des Frères musulmans en Europe. Selon le journal français Marianne, l’implantation économique de la Confrérie dans le pays date du milieu des années 1960 avec l’ouverture, dans la ville de Graz, d’un réseau d’usines de production de fromages et de produits laitiers. Rapidement, les Frères musulmans essaimeront dans le reste de l’Europe. En Suisse d’abord, devenue la place financière de la Confrérie, où a été installée la banque al-Taqwa, dont le rôle trouble dans les attentats du 11 septembre 2001 a été épinglé par les États-Unis. Puis au Royaume-Uni, centre spirituel, où l’organisme Tanzim al-dawli, qui fédère peu ou prou la confrérie à l’échelle internationale est publiquement implanté. Mais, au début de l’année 2017, Donald Trump menace d’inscrire la Confrérie sur la liste noire des organisations terroristes. Face à cette offensive, les Frères musulmans effectuent un repli stratégique à Graz, où ils bénéficient déjà d’un réseau historique d’entreprises et d’associations.
Une omniprésence qui éveille l’intérêt — et l’inquiétude — des services de sécurité autrichiens. Sur demande d’un procureur, une enquête est lancée par le Bureau de protection de la Constitution de la Styrie — l’un des États autrichiens, jouissant d’une relative autonomie. Pendant plus de deux ans, les enquêteurs accumulent des données monumentales, dont 21 000 heures d’écoutes et 1,2 million images de filature. Une liste de 70 personnalités soupçonnées de « liens avec une organisation terroriste, financement du terrorisme et blanchiment d’argent » vient mettre au jour le réseau tentaculaire des Frères musulmans dans le pays et, surtout, sa bonne implantation dans la vie économique et sociale autrichienne.
Tout s’accélère au début du mois de novembre 2020. Le 2 novembre, aux alentours de 20 h, Kujitim Fejzullai, un Autrichien d’origine albanaise de 20 ans, abat froidement trois personnes près de la synagogue de Stadttempel, au cœur de Vienne. Un acte terroriste qui plonge l’Autriche, jusqu’ici épargnée par le terrorisme islamique, dans l’effroi le plus total. Rapidement, les premières conclusions de l’enquête témoignent de failles dans la communication entre les différents services de lutte contre le terrorisme, entraînant un déficit de surveillance de Kujitim Fejzullai, qui avait prêté allégeance à l’État islamique. Le 3 novembre, une vaste opération policière permet l’arrestation des personnalités identifiées par l’enquête du Bureau de protection de la Constitution de la Styrie.
La nouvelle loi antiterroriste, visant explicitement les Frères musulmans, a déclenché une contre-attaque médiatique portée notamment par Millî Görüs, un mouvement religieux islamiste turc, proche du président ultranationaliste Recep Erdogan, qui reproche à l’Autriche une politique « islamophobe ». Depuis plusieurs années, Recep Erdogan s’est en effet imposé comme le porte-voix des Frères musulmans dans le monde arabe et l’un des plus fidèles soutiens de la Confrérie. En France, Millî Görüs est aussi dans le viseur des autorités, qui considère cette organisation comme un relais d’influence turc en France. « Il y a un certain nombre de sujets nationaux sur lesquels Millî Görüs peut tenir le même discours qu’Ankara, comme l’islam sunnite, comme la question du halal, comme la prière, mais aussi des sujets nationalistes comme le génocide des Arméniens de l’Empire ottoman » explique Samine Akgonu, directeur du département d’études turques à l’université de Strasbourg, à France TV Info.
Une organisation jugée « terroriste » dans de nombreux pays arabes
Si l’interdiction des Frères musulmans est une première européenne, plusieurs pays arabes, dont l’Égypte, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis l’ont officiellement inscrite dans leur liste noire des organisations terroristes. La Russie est, à ce jour, le seul pays non-musulman à interdire la Confrérie qui revendique encore officiellement ne reconnaître que le Coran comme « loi » et le Djihad comme « voie ». « Dans la zone européenne, leur vision (NDLR. Des Frères musulmans) rejoint ce qu’on appelle le séparatisme. Ils veulent que les musulmans forment un ensemble séparé, n’appartenant pas à la République — ou au royaume le cas échéant — mais à l’Oumma » explique Gérard Vespierre, analyste en géopolitique, à BFM TV.
« Dans la zone européenne, leur vision (NDLR. Des Frères musulmans) rejoint ce qu’on appelle le séparatisme. Ils veulent que les musulmans forment un ensemble séparé, n’appartenant pas à la République — ou au royaume le cas échéant — mais à l’Oumma » (Gérard Vespierre pour BFM TV)
En Belgique, les Frères musulmans ont aussi occupé les « Unes » des grands médias nationaux il y’a quelques jours après que des révélations ont souligné les liens entre la Confrérie et Ihsane Haouach, membre du gouvernement chargée de l’égalité femmes-hommes. Une note confidentielle de la Sûreté belge, dont le contenu a été rendu public par la RTBF, souligne que « (les) contacts entre les Frères musulmans et Ihsane Haouach s’inscrivent dans une stratégie plus large des Frères musulmans, dans laquelle ils tentent d’influencer le débat public et l’élaboration des politiques en développant de bonnes relations avec des personnes influentes dans différents cercles de la société ». Peu après sa nomination, un interview d’Ihsane Haouach à l’European Forum of Muslim Women daté de juin 2020 avait déjà fait polémique, celle-ci regrettant « le nombre de musulmans (ayant) élu des représentants de partis politiques qui ont voté des lois qui ne sont pas en faveur des musulmans (abattage rituel, voile, cours de religion…) ».
En France, un réseau d’influence multiple et pluriel
En France, la stratégie d’entrisme des Frères musulmans dans la société est régulièrement dénoncée. Selon le Collectif Lieux Communs, à l’origine d’une cartographie de référence sur la nébuleuse des Frères musulmans en France, le principal outil d’influence de la Confrérie serait le réseau « Musulmans de France », qui cherche à s’imposer comme l’institution de référence de l’islam de France aux côtés d’autres organismes, souvent bien plus modérés. L’association Musulmans de France est, aux Émirats arabes unis, considérée comme une organisation terroriste et n’a, à ce titre, pas le droit de cité dans le pays. Grâce à cette structure, « les Frères musulmans ont réussi leur implantation [en France], notamment avec des visées communautaristes, comme l’ouverture d’écoles privées musulmanes » expliquait en 2017 au Figaro Mohammed Louizi, écrivain et membre « repenti » de l’organisation.
« les Frères musulmans ont réussi leur implantation [en France], notamment avec des visées communautaristes, comme l’ouverture d’écoles privées musulmanes » (Mohammed Louizi – Le Figaro)
Au-delà des Musulmans de France, les Frères musulmans disposent de liens puissants avec un vaste réseau d’ONG comme le Secours islamique, Syria Charity et avec plusieurs associations de lutte contre l’islamophobie, la Ligue de défense judiciaire des musulmans, le Comité justice et liberté pour tous, l’association Droits des Musulmans ou encore le Collectif contre le Racisme et l’Islamophobie. Le Collectif Lieux Communs dénonce aussi les liens entretenus entre la Confrérie et certains acteurs et structures politiques, comme l’Union des Démocrates Musulmans de France, Madjid Messaoudène, ancien proche du Parti des Indigènes de la République (PIR) ou Feïza Ben Mohamed, connue pour sa proximité avec Erdogan. Plusieurs universitaires français sont aussi régulièrement pointés du doigt pour leur complaisance supposée avec les Frères musulmans, notamment, Raphaël Liogier, professeur à l’Institut d’études politiques d’Aix-en-Provence, ou encore la sociologue Zahra Ali, longtemps figure de proue de la mobilisation contre la loi sur les signes religieux dans les écoles publiques françaises.
> En Libye, les Frères musulmans ont tenté d’influencer le choix du groupe des 75, chargé de former un gouvernement de transition en octobre 2020.
