Elles sont

A l’occasion du premier anniversaire des campagnes féministes mondiales, la rédaction revient sur le féminisme dans le monde arabe.

Elles sont maghrébines, saoudiennes, sud-soudanaises, syriennes. Elles se battent pour avoir accès à l’éducation, abolir le tutorat qui pèse sur elles, faire entendre leur voix dans la résolution des conflits, être considérées (au moins) comme les égales des hommes. Pour exister, tout simplement. Loin des théâtres où se sont jouées les campagnes féministes écloses il y a un an – et qui, par leur ampleur et leur longévité, laissent croire qu’il y aura un avant et un après -, ces femmes appartiennent et participent plus que jamais à ce souffle mondial pour l’égalité des sexes. Par leur combat quotidien, mais également les souffrances qu’elles endurent, elles s’inscrivent dans la riche lignée des pionnières de la lutte des femmes pour les femmes dans le monde arabe.

« Etre une fille »

Au Soudan du Sud, pays déchiré par 5 années de guerre civile, tout indique que les citoyennes, tenues à l’écart des tractations pour la paix et victimes d’un nombre d’agressions en hausse, sont l’une des clés de la stabilité nationale. Au Maroc et en Tunisie, où les tentatives de démocratisation post-indépendances ont été consubstantielles aux vagues féministes de l’époque, certaines forteresses véhiculant l’inégalité des sexes, comme l’héritage, continuent de vaciller. En Syrie et dans les pays alentours, des ONG nationales et internationales se battent pour que les jeunes filles réfugiées continuent d’avoir accès à l’éducation, sans laquelle elles hypothèquent automatiquement leur avenir.

A l’occasion de la Journée internationale des filles, le 11 octobre dernier, l’ONG Care a d’ailleurs publié un rapport sur le quotidien des jeunes réfugiées ; avec presque 3 millions de filles déplacées par le conflit, la Syrie « trône » à la première place du classement des « pires crises pour les jeunes filles réfugiés ». Que ce soit au Liban, en Jordanie ou en Turquie, les réfugiées syriennes pâtissent « du travail et du mariage des mineures, sorties du système scolaire alors qu’elles n’ont que 14 ou 15 ans », nous indiquait il y a quelques jours Joëlle Bassoul, responsable de l’ONG pour la Syrie. Tandis que Philippe Lévêque, directeur de Care France, se demandait (de manière rhétorique) « quelle [était] l’une des choses les plus dangereuses au monde », à quoi il répondait : « Etre une fille lors d’une crise humanitaire ».

Fonction des codes

Mais dans le monde arabe comme ailleurs, la mise en avant des femmes n’est pas toujours de leur fait. « Dans les zones rurales, où les Syriennes sont traditionnellement femmes au foyer, leur rôle a évolué à cause de la mort de leur mari bien souvent, fait ainsi savoir Mme Bassoul. Elles sont propulsées à la tête des familles alors qu’elles n’y étaient pas préparées. » En Arabie saoudite, c’est un prince héritier adepte du ripolinage qui, sous couvert de progressisme féministe à marche forcée, heurte des traditions auxquelles certaines femmes demeurent attachées. Aucun paradoxe là-dedans. Car « les Saoudiennes avancent en fonction de leurs codes. C’est-à-dire pas de façon tonitruante », renseigne Clarence Rodriguez, journaliste spécialiste du royaume.

Voilà sans doute l’un des enseignements à retenir lorsqu’on évoque la question féministe dans le monde arabe – comme ailleurs. En Arabie saoudite, où Mohamed ben Salman, futur monarque, a autorisé il y a tout juste un an les femmes à conduire, « la société continue de répondre à des codes entretenus par les traditions séculaires » poursuit Clarence Rodriguez. Et ce sont ces « codes » qui expliquent pourquoi toutes les Saoudiennes n’ont pas exulté à l’idée de pouvoir s’asseoir derrière un volant, certaines refusant même catégoriquement de conduire. Parce qu’il existe autant de féminismes que de sociétés dans le monde, ne cherchons pas à modeler le rôle des femmes à l’aune de tel ou tel précepte. Laissons-les être.


Huda Shaarawi 

« L’Egyptienne Huda Shaarawi (m. 1947), véritable pionnière du féminisme arabe qui fonde en 1923 l’Union Féministe Egyptienne, s’investit dans plusieurs congrès féministes internationaux ; en qualité de présidente de la délégation égyptienne au congrès féministe mondial de Rome, en 1923, elle n’hésite pas à inviter le président Mussolini à octroyer le droit de vote aux femmes italiennes. En rentrant de ce congrès, Huda Shaarawi accomplit un geste hautement subversif en se dévoilant publiquement en descendant à la gare du Caire sous les applaudissements d’une foule de femmes. » Leïla Tauil, enseignante et spécialiste du féminisme maghrébin

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