Les Sud-Soudanaises, premières victimes de la guerre civile, doivent faire entendre leur voix pour consolider l’effort de paix.
Au Soudan du Sud, malheureusement, pas grand chose de nouveau. Le plus jeune pays du monde subit un conflit prolongé, depuis que l’opposition entre le président, Salva Kiir, et son ancien adjoint, Riek Machar, a débouché sur une guerre civile – et relancé la violence entre les groupes tribaux à travers le pays – en 2013. Plus de 2 millions de personnes ont fui le pays en tant que réfugiés, dont plus de 80 % sont des femmes et des enfants, tandis que de nombreuses régions du pays souffrent actuellement d’une grave insécurité alimentaire et sont exposées à un risque élevé de famine. Qui, ajouté à l’instabilité économique qui règne dans le pays, a réactivé les tensions familiales et tribales préexistantes, « les communautés luttant pour l’accès aux ressources » souligne Search for Common Ground (SFCG).
« Stabilité à long terme »
L’ONG, qui milite pour la fin des conflits dans le monde, œuvre au Soudan du Sud depuis 2014, afin de « promouvoir la cohésion sociale, la résilience et le règlement pacifique des conflits parmi les individus et les communautés », peut-on lire sur son site Internet. Fin septembre dernier, elle a publié une étude intitulée « Les femmes et l’avenir du Soudan du Sud », dirigée par Katie Smith, rédactrice en chef basée à Washington (Etats-Unis), et Dominic Iyaa, un chercheur sud-soudanais. Leur constat est simple : « Les femmes demeurent sous-représentées et exclues des efforts de consolidation de la paix », or celle-ci « nécessite un engagement inclusif et à plusieurs niveaux ». Autrement dit : sans la participation des femmes sud-soudanaises au processus de paix, « près de la moitié de la population n’est pas prise en compte, ce qui compromet la stabilité à long terme » estiment les auteurs de l’étude.
Lire aussi : Au Soudan du Sud, un dialogue national pour gagner la paix
En 2000, le Conseil de sécurité des Nations unies (ONU), dans sa résolution 1325, pointe du doigt pour la première fois « l’impact disproportionné et tout à fait particulier des conflits armés sur les femmes », davantage susceptibles que les hommes d’être victimes de violences sexuelles – entre autres. Et « souligne l’importance de la participation des femmes à toutes les phases de la prévention des conflits, du règlement des conflits et de la consolidation de la paix ». Aujourd’hui, selon l’International Rescue Committee (IRC), jusqu’à 65 % des femmes dans les zones de conflit ont effectivement subi des violences physiques ou sexuelles, tandis qu’elles demeurent confrontées à des taux plus élevés d’enlèvements et d’agressions depuis le début du conflit en 2013.
« Facteurs localisés »
D’après l’étude de SFCG, « la violence au Soudan du Sud a été étroitement liée à des facteurs localisés profondément liés aux femmes et à leur rôle au sein de la famille. » Ainsi, « les questions liées au mariage et au prix de la mariée, y compris […] les disputes interfamiliales sur les arrangements matrimoniaux […] demeurent les principales sources de conflits intercommunautaires dans de nombreuses régions. » Dans le comté d’Awerial (Etat des Lacs, centre), par exemple, l’UNICEF indiquait en 2015 que 43 % des personnes interrogées avaient éprouvé des violences familiales, les femmes, plus nombreuses que les hommes, ayant répondu à 30 % qu’elles « ne font rien » lorsque celles-ci se produisent. Ce qui importe donc, selon Katie Smith et Dominic Iyaa, c’est avant tout de libérer la parole des Sud-Soudanaises, en les invitant à la table des négociations. Ou, tout du moins, en mettant en lumière leurs revendications.
En septembre dernier, Salva Kiir et Riek Machar ont signé un accord pour « revitaliser » l’accord de paix signé en 2015, ressuscitant les espoirs des Sud-Soudanais – et ceux de la communauté internationale – de voir l’opposition entre les deux leaders se tarir, et la guerre larvée s’achever pour de bon. Réaliste, le chef de la Mission de l’ONU dans le pays, David Shearer, avait estimé qu’il s’agissait là « d’un seul pas sur la voie d’une paix durable, […] celui qui jette les bases de tout ce qui doit suivre. […] Mais nous savons aussi que les plus grands défis sont encore à venir. » Parmi ceux-là, la place des femmes dans la résolution du conflit tient donc une place primordiale, selon l’ONG SCFG. Qui reconnait : « Même si la paix est négociée au plus haut niveau au Soudan du Sud, [les violences physiques faites aux femmes] persisteront au niveau local et continueront de miner la stabilité [du pays] s’ils demeurent insuffisamment pris en compte. »
« Transformation non violente »
Encore faut-il donner la parole à toutes les femmes, au Soudan du Sud, et non seulement à celles qui habitent les centres urbains, comme la capitale. « De nombreuses femmes à l’extérieur de Djouba estiment que les représentantes nationales ne reflètent pas leurs propres valeurs, explique effectivement l’étude. Les différences réelles et perçues entre les élites, la classe aisée et les couches populaires ont creusé des écarts entre les Sud-Soudanaises lorsqu’il s’agit de promouvoir les questions liées aux femmes et leur participation » au discours commun. Ecarts dûs en partie, selon les auteurs de l’étude, à la mauvaise circulation de l’information à l’intérieur du pays.
Bien que l’accès des femmes à la radio soit plus faible dans l’ensemble, plus de 60 % des auditeurs de l’émission Sergeant Esther sont des femmes. La sergent Esther suit les épreuves et les triomphes fictifs d’une policière qui résout les problèmes dans sa vie quotidienne de façon non violente.
Pour y remédier, Katie Smith et Dominic Iyaa préconisent une plus forte présence des sujets relatifs aux violences faites aux femmes dans les médias. Et à la radio notamment. Car « tant de femmes ont l’impression de partir de zéro parce qu’elles n’ont pas entendu les autres histoires de femmes impliquées dans la paix », témoignait une citoyenne sud-soudanaise en mai dernier. Autre vecteur (étonnant quoi que logique) de diffusion de la parole : le théâtre participatif, « moyen particulièrement efficace d’engager les femmes dans la transformation non violente des défis communautaires, tels que la violence sexiste, la violence domestique et le mariage forcé » expliquent les chercheurs. D’après qui plus de 90 % des participants à des représentations théâtrales ont montré « une meilleure compréhension des questions relatives aux droits humains ». Un jeu (sur les planches) qui en vaut la chandelle.
Lire aussi : Soudan du Sud : « Nous savons que les plus grands défis sont à venir »

Rédacteur en chef