Paysage médiatique tunisien, entre ghetto idéologique et délation

Voilà des années qu’on regarde les mêmes visages dans les mêmes plateaux, leurs discours changeant dans la forme mais peu voire très peu dans le fond. Il est difficile de les placer correctement sur  l’échiquier du débat politique tunisien et pour cause, ils changent d’avis tous les mois et ce,  en fonction de leurs intérêts bien entendu.

Entre  Attassia TV qui n’a pas caché son soutien au candidat de Tahia Tounes, Youssef Chahed, la chaîne Nessma TV qui a soutenu à fond son propriétaire Nabil Karoui et Tounesna qui a soutenu  Abir Moussi, nos médias semblent accorder très peu d’importance au concept de ligne éditoriale qui, bien qu’elle soit un contrat moral, est l’identité même d’un média.

Bien qu’ils ne dévoilent pas expressément leur couleur politique, une bonne partie des journalistes tunisiens manquent d’objectivité. Les plateaux télé sont désormais un ring de boxe ou le public  n’est que le COI de leurs phrases.

L’effet meute qui fait des ravages

Sur El Hiwar par exemple, c’est l’histoire d’une animatrice érigée en journaliste et de trois chroniqueurs qui vivent dans un ghetto idéologique et politique paralysant. Similaires à la « vieille élite », ils s’isolent dans leur propre tribune et refusent de s’ouvrir sur le monde ce qui, en principe, doit être leur vocation.  Ils s’appellent les éditocrates et sont, par définition,  des personnes qui ont un avis sur presque tout, sur tous les tons et par tous les temps.

Dans ce ghetto, hormis leur manque d’honnêteté envers le public, ces éditocrates essayent de propager leur haine et leur discrimination pour servir leurs intérêts des parties dont ils reluisent l’image. Et qui sont souvent difficiles à défendre à l’ère ou l’information est accessible. Le fact checking étant un outil à la portée : « Google est mon ami ».

Défendre l’indéfendable, voilà une tâche bien complexe alors pour détourner la difficulté, ils se mettent en position d’attaque et tirent sur tout, dès qu’ils sentent  les intérêts des parties qu’ils défendent menacés. Et n’hésitent pas pour cela d’user de leurs nerfs, leurs cordes vocales et leur gestuelle déconcertante. Ils débitent tous les mêmes poncifs en se félicitant de lever les non-dits.

Trois éditocrates donc, qui parlent de tout, donnent un avis sur tout et savent tout. Et n’hésitent pas à donner des leçons à ceux qui les regardent. Si ils ont du mal à défendre leurs clients, ils n’ont aucun mal à insulter l’intelligence du peuple et biaiser  sa volonté.

Dans ce ghetto, on s’acharne sur ceux qui ne leur ressemblent pas, et qui incarnent par conséquent le mal absolu : « le conservateur», « le révolutionnaire », « l’islamiste» etc…

Précisons les termes. Un journaliste n’a pas à révéler sa couleur politique, pour deux raisons. D’abord, il est tenu par la déontologie de sa profession, notamment la Charte de Munich, d’être impartial envers les sujets qu’il traite et de rapporter l’information, ou de l’analyser, de façon non biaisée. Ensuite, tout média d’information a une ligne éditoriale, c’est-à-dire une ligne politique : à partir de là, la ligne politique d’El Hiwar c’est de protéger les intérêts de Samir Fehri.

Nécessité d’un coming out politique

Par conséquent, ce sont les médias d’information qui doivent afficher explicitement leur couleur politique via leur ligne éditoriale, et non pas les journalistes qui travaillent pour lui. Par parenthèse, savoir cela permet de comprendre pourquoi un journaliste peut travailler pour un média de telle orientation politique alors que lui-même, comme citoyen, adhère à une autre.

Mais le jeu de délation auquel se prêtent ces chroniqueurs est juste ébouriffant : de l’art de s’appuyer sur des motifs méprisables pour défendre leurs « idées » en récitant des discours, en se référant à des philosophes, auteurs et poètes pour donner l’impression d’être « cultivés » et impressionner les auditeurs en donnant l’impression de maîtriser leurs sujets , et en ayant recours à la langue française pour « légitimer leur culture ».

En revanche, la définition même d’un « chroniqueur » consiste à exprimer auprès du public ses propres opinions, et non pas à faire preuve d’impartialité. Il est donc à la fois possible et rigoureusement indispensable, par transparence envers le public, que tout chroniqueur affiche explicitement sa couleur politique ; qu’il dise d’où il parle. Puisque au contraire, sur El Hiwar, c’est l’omerta qui prévaut. Il est donc indispensable pour ces journalistes des médias dominants de faire leur « coming out politique » auprès des Tunisiens.

Depuis la révolution et avec la prolifération des canaux de diffusion entre masse medias et social media, la corporation éditocratique tunisienne s’est partiellement renouvelée, féminisée et s’est dangereusement radicalisée.

S’appuyant sur des démonstrations d’où le réel a été complètement banni, ces éditocrates, toujours insensibles aux contestations citoyennes de leur magistère comme l’élection du président Kais Saied avec 3 millions de voix, continuent de fabriquer du consentement. Et c’est avec une brutalité et un cynisme largement inédits qu’ils œuvrent au formatage des esprits.

Si la donne politique a changé et si les jeunes ont montré leur mécontentement à travers les urnes, le système médiatique sera-t-il à son tour sanctionné ?

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