Générer le chaos dans la région : une stratégie payante pour la République islamique d’Iran ?

« Il faut rappeler qu’il y a plus de 700 batteries de missiles iraniens pointés vers les villes du Golfe », précise Sébastien Boussois.

Hormis les tensions inédites récentes entre les deux Corées, la situation à Taïwan et l’emprise chinoise, la guerre en Ukraine et les menaces nucléaires de Vladimir Poutine, il ne faut pas oublier pour autant les risques de dérapage dangereux qui peuvent survenir du jour au lendemain dans la région du Golfe. L’Iran pourrait en être l’instigateur principal et jouer à fond son rôle de puissance de nuisance.

Depuis plusieurs années, nous sommes confrontés à un retour du monde multipolaire et des revendication multiples de leadership venant du nouveau monde, mais surtout par voie d’un fait d’une planète de plus en plus multipolarisée. La crise énergétique, le rôle du Moyen-Orient, l’influence évolutive des grandes puissances prédatrices dans la région, font craindre un glissement géopolitique d’envergure sur place. Cela donne des ailes et une opportunité à l’Iran pour faire un retour agressif sur la scène régionale et tenter de prendre la main pour faire oublier ses problèmes intérieurs.

Dernièrement, l’Arabie Saoudite s’inquiétait d’ailleurs d’une attaque « imminente » de la part de l’Iran. La haine entre les deux pays est ancienne, au moins depuis la révolution islamique de 1979. Le soutien indéfectible américain à Riyad bien que réduit depuis l’arrivée de Joe Biden, l’apaisement en 2015 avec l’accord sur le nucléaire iranien, le feu aux poudres enclenché par Donald Trump faisant imploser l’accord, l’échec des négociations américano-iraniennes dernièrement pour réintégrer l’accord, la crise du Golfe de 2017 ayant radicalisé les positions anti-iraniennes, les mouvements depuis un mois en Iran contre le régime, mettent Téhéran dans une situation de tension exacerbée. Autant tenter le tout pour le tour pour détourner l’attention de la situation intérieure.

Accords d’Abraham

Pourquoi maintenant ? Il faut rappeler qu’il y a plus de 700 batteries de missiles iraniens pointés vers les villes du Golfe. S’il le décide, l’Iran peut donc faire s’effondrer le Conseil de Coopération des Pays du Golfe en cinq minutes, Riyad en premier. De plus, vu nos achats de gaz naturel liquéfié, la fermeture du détroit d’Ormuz que contrôle Téhéran serait pour nous catastrophique…Il sait ce pouvoir qu’il détient dans sa région et dans le monde.   Pourtant, l’Iran aurait moins de raisons d’attaquer l’Arabie Saoudite depuis que celle-ci flirte avec Moscou. Le régime de Mohammed Ben Salmane a tenté un rapprochement récemment ( comme cela arrive tous les dix ans… ) avec Téhéran, sentant le vent du boulet, au motif que vu le désengagement américain[1] et de toute façon la perte de confiance des Arabes du Golfe à l’égard de Washington, il n’y a pas d’autre choix que de coexister avec l’Iran. Menacer Riyad est une marque de force supplémentaire.

D’autant que le ver est aussi dans le fruit en Arabie Saoudite : la population chiite d’Arabie Saoudite est très importante, plus que les statistiques officielles le mentionnent ( on friserait 20% de la population ) et habitent là où se trouvent 80% des puits saoudiens. Autre atout de poids pour Téhéran. L’Iran n’aura de cesse d’exercer sa capacité de nuisance tant qu’il ne retrouvera pas un rôle régional et international reconnus.. On peut l’affirmer : si Riyad n’a pas rejoint les accords d’Abraham avec Israël les Emirats arabes unis et Bahreïn, c’est bien plus pour ne pas intégrer un front ouvertement anti-iranien que pour ne pas choquer sa population par un lâchage de la cause palestinienne. Car vu le niveau de répression pratiqué, personne en Arabie Saoudite n’aurait défié MBS même si cela s’était passé. Bref, tout reste possible entre un début de modus vivendi régional agréé avec l’Iran et la conflictualité plus ou moins brutale comme ce pourrait être le cas prochainement.

Tout ça est rendu encore plus compliqué encore par le fait que les Pasdaran[2] semblent prendre de plus en plus de pouvoir y compris par rapport aux mollahs dans le pays. Or, ils sont comme le premier cercle poutinien : des « siloviki »[3] des chiites mafieux violents. Ils peuvent donc aussi être tentés d’aller plus loin que s’imposer dans leur région, mais aussi de mettre l’Occident à genoux en ajoutant une crise supplémentaire dans le Golfe Persique au moment où notre vulnérabilité énergétique est maximale. Ça fait 40 ans qu’on les maintient sous sanctions, s’ils peuvent se venger ils le feront. Ce serait parfait pour Poutine de voir d’autres pôles d’embrasement détourner l’attention mondiale de son chantier ukrainien en cours .

 

[1] Et la crise latente entre Washington et Riyad depuis que MBS refuse d’augmenter les productions de pétrole pour ne pas que le cours du baril de brut chut, poussant les Etats-Unis à puiser dans leurs réserves stratégiques comme jamais

[2] Le corps des gardiens de la Révolution islamique

[3] Hommes de main et de confiance
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