Armes françaises au Yémen : Paris confrontée à ses mensonges

D’après le média Disclose, des documents classés « confidentiel défense » prouvent que des armes françaises tuent au Yémen.

Comme de nombreux rapports d’associations et ONG le laissaient entendre, et ce depuis plusieurs mois maintenant, des armes françaises sont bel et bien utilisées au Yémen. Où, depuis plus de 4 ans, une coalition de pays sunnites, emmenée par l’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis (EAU), vient en aide aux forces gouvernementales yéménites qui luttent contre les rebelles Houthis (chiites zaïdites).

Alors que la France a toujours nié exporter du matériel militaire qui puisse se retrouver engagé dans le conflit, une enquête publiée lundi 15 avril par le site d’investigation tricolore Disclose, s’appuyant sur « une fuite inédite de documents secret défense », est venue rétablir la vérité. D’après le média, il s’agirait d’un rapport de la direction du renseignement militaire (DRM), présenté au gouvernement français (notamment le Premier ministre, Edouard Philippe, le ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, et la ministre des Armées, Florence Parly) lors d’un conseil de défense restreint, en date du mercredi 3 octobre 2018.

« Population sous la menace des bombes »

« Officiellement, l’armement français n’est utilisé que de manière défensive au Yémen. Or, ce que révèle [cette note confidentielle], c’est que des armes françaises sont bien utilisées sur terre, sur mer et dans les airs par l’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis, précise Benoît Collombat, de la cellule investigation de Radio France, partenaire du site Disclose. Sur le champs de bataille, il y a des chars Leclerc, avec des obus français ; des mirages 2000 participent aussi aux bombardements ; des avions équipés d’un système de guidage laser, le pod Damoclès, là encore vendu par la France. »

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Selon lui, 30 % des raids aériens atteignent des objectifs civils, et participent de facto au bilan humain catastrophique des combats – plusieurs dizaines de milliers de Yéménites sont morts depuis l’entrée en guerre de Riyad et Abou Dabi, en mars 2015, selon l’ONG ACLED« Une carte du renseignement militaire, intitulée ‘‘Population sous la menace des bombes’’, montre que les civils sont à portée de tir des canons français, ajoute Benoît Collombat. Il y a ensuite le soutien, l’aide logistique à la guerre au Yémen », dont des « hélicoptères de combat » et des « avions ravitailleurs indispensables aux frappes aériennes ».

« Ce que montre enfin cette note confidentielle, c’est que des bateaux de fabrication française [Corvette] participent au blocus maritime perturbant ainsi l’acheminement de la nourriture ou des médicaments sur place », alerte enfin le journaliste de Radio France. Blocus qui, pour rappel, contribue fortement à la « pire crise humanitaire du monde », selon les Nations unies (ONU), alors que 28 millions de Yéménites vivent toujours sous les bombardements et plus de 20 millions dépendent de l’aide humanitaire.

Débat démocratique

A l’origine de l’enquête, d’après Disclose, « un débat moral, politique et juridique exigeant » : celui des « contrats entre la France et l’Arabie saoudite ». Et une question : « La France peut-elle fournir des armes à un client qui s’en sert pour bombarder des civils au Yémen depuis 4 ans ? » Non, selon les textes qui régissent les exportations d’armements (Traité sur le commerce des armes, Position commune de l’Union européenne, etc.). Oui, selon les autorités françaises, qui n’ont jamais voulu remettre en cause ce partenariat juteux avec Riyad (11 milliards d’euros entre 2008 et 2017 dans les caisses de l’Etat). Ceci quand bien même de plus en plus de rapports incriminaient Paris pour son « commerce de la mort » ces derniers temps.

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Problème, comme regrettait Tony Fortin, de l’Observatoire des armements, auprès du Monde arabe, en septembre dernier : « Sur les ventes d’armes, même à huis clos on refuse de donner aux parlementaires français les détails des contrats d’armements. Si on ne fait même pas confiance aux députés pour essayer d’évaluer si la politique française respecte ses engagements internationaux, où en est la démocratie française ? » De son côté, Aymeric Elluin, chargé de plaidoyer armes chez Amnesty International France, d’alerter : « Il n’y a aucun contrôle contradictoire de la politique du gouvernement, qui fait et dit ce qu’il veut. S’il y avait un parlement qui faisait ce travail, il y aurait peut-être moins de transferts [d’armes] irresponsables ».

Un contrôle parlementaire, c’est ce que souhaite instaurer depuis plusieurs mois le député français Sébastien Nadot, qui aimerait que les ventes d’armes sortent du « domaine réservé » du président de la République. Dans une tribune qu’il a co-signée et publiée par Libération mardi 16 avril, il estime que « le gouvernement a connaissance de la gravité de la situation mais refuse toute responsabilité. » Privilégiant sa « politique d’exportation, rentable financièrement » mais absolument immorale.

La question, à présent, étant de savoir combien de temps la France tiendra cette position. Il y a quelques jours, le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, réaffirmait son soutien à l’envoyé spécial de l’ONU au Yémen, Martin Griffiths, rappelant « l’urgence de poursuivre le dialogue en vue d’une solution politique inclusive, seule à même de […] mettre un terme aux souffrances de la population yéménite ». Un bel exercice de communication politique, entre lâcheté et cynisme.

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