Bain de sang à Gaza : peut-on parler de crime de guerre ?

L’armée israélienne a ouvert le feu, lundi, sur des Palestiniens, faisant une soixantaine de morts et des milliers de blessés.

Comme chaque année, des milliers de Palestiniens se sont réunis hier, à la frontière israélienne, pour célébrer le 70ème anniversaire de la Nakba (la « catastrophe » en arabe). Cette journée du 15 mai 1948, où 800 000 d’entre eux ont dû abandonner leur terre, 24 heures après la proclamation de l’Etat d’Israël. « La Nakba est le nom qu’ont donné les Palestiniens au fait d’avoir été expulsés en très grand nombre […] de leurs foyers, durant la guerre qui commence avec le plan de partage, le 29 novembre 1947 » selon Dominique Vidal, journaliste et historien, spécialiste du conflit israélo-palestinien.

Sauf que cette année, cette commémoration est intervenue dans des circonstances très particulières. La veille, les Etats-Unis – sans leur président, Donald Trump, qui s’est contenté d’envoyer un message filmé, mais en présence de sa fille, Ivanka Trump – ont inauguré leur ambassade à Jérusalem, comme s’y était engagé le chef de l’Etat américain en novembre dernier. Et en dépit des cris d’alarme de l’ensemble de la communauté internationale – moins quelques acteurs -, qui redoutait une effusion de sang. Qui a eu lieu.

« Crime de guerre »

Tandis que les officiels américains et israéliens, dont le Premier ministre, Benyamin Nétanyahou, s’affichaient tout sourire devant la nouvelle ambassade des Etats-Unis, à  « Jérusalem, capitale d’Israël » selon les mots d’Ivanka Trump, des dizaines de Palestiniens ont péri sous les balles des soldats israéliens, qui ont également fait des milliers de blessés. En cause, selon Tel-Aviv ? Les manifestants n’ont pas respecté le périmètre de sécurité établi par l’armée israélienne, qui leur interdisait d’approcher de la frontière.

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D’après Christophe Ayad, chef du service international du Monde, c’est également « la peur » qui a dirigé l’action de l’Etat hébreu : « La raison des tirs de son armée, c’est que la barrière de sécurité qui sépare la bande de Gaza du territoire israélien soit violée. Cela créerait un précédent très difficile à gérer ensuite. Israël ne veut sous aucun prétexte qu’elle soit franchie. » Et a donc ouvert le feu sur les manifestants. Un « crime de guerre » selon l’organisation Amnesty International, dont le vocable, disproportionné ou tout à fait légitime, fait débat.

« Tentatives d’infiltration »

Pour Jean-Claude Lescure*, professeur des universités en histoire contemporaine, spécialiste du conflit israélo-palestinien, « la définition de crime de guerre en droit international est toujours sujette à appréciation [mais] je pense qu’on est effectivement sur quelque chose qui peut s’en approcher. On a des militaires lourdement armés qui vont tirer sur des femmes et enfants ; on est dans une dispropotion d’utilisation de la force » explique-t-il. Une supposition que balaie Martine Gozlan*, rédactrice en chef de Marianne et spécialiste du Moyen-Orient :

« Je n’utiliserais pas le terme de « crime de guerre ». […] On peut se poser des questions sur le mode de riposte et se demander pourquoi il n’y a pas eu davantage de méthodes de dissuasion. Mais il faut regarder le réel. Bien sûr, les Israéliens ont riposté dans une mesure qui est, selon toute la planète, disproportionnée. Mais il y a eu une déferlante d’éléments armés et de tentatives d’infiltration [du territoire israélien]. Il faut se mettre aussi dans cette perspective » estime Martine Gozlan.

« Faire des handicaps »

En revanche, pour Alain Gresh*, directeur du journal en ligne Orient XXI, « il n’y aucun doute, ce sont des crimes de guerre. Et des crimes de guerre pensés comme tels. » L’ancien rédacteur en chef du Monde diplomatique de citer le ministre de la Défense israélien, Avigdor Liberman, qui affirmait récemment qu’ « il n’y a pas de gens innocents à Gaza. » « Cela veut dire que les femmes, les enfants, les adultes ne sont pas innocents [pour les autorités israéliennes] » a regretté le journaliste français, mentionnant également le type de balles utilisées, « tirées pour faire des handicaps ».

Pour rappel, le « crime de guerre » a été défini pour la première fois en 1945 par le tribunal de Nuremberg, chargé de juger les criminels nazis. Il s’agit d’ « assassinat, mauvais traitements ou déportation pour des travaux forcés, ou pour tout autre but, des populations civiles dans les territoires occupés, assassinat ou mauvais traitements des prisonniers de guerre ou des personnes en mer, exécution des otages, pillages de biens publics ou privés, destruction sans motif des villes et des villages, ou dévastation que ne justifient pas les exigences militaires. »

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*Intervenant dans l’émission Du grain à moudre, sur France Culture, mardi 15 mai.

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