France 2 à Idlib : quel récit pour la Syrie ?

Au journal télévisé de France 2, samedi dernier, était diffusé un reportage intitulé « La reconquête de Bachar al-Assad à Idlib ».

Tout le récit déployé à travers ce sujet du service public est celui mis en œuvre par Damas depuis plusieurs mois : vendre la « victoire » prochaine du régime Assad sur les « djihadistes ». Cette rhétorique pose hautement question au vu des crimes de guerre commis au nom de cette « mission civilisatrice ».

Se joindre aux soldats du régime en place, triomphant tels des conquérants dans les villes de la région d’Idlib dont ils viennent de chasser tous les habitants à coups de bombardements, voilà ce que nous proposait France 2 ce samedi au journal télévisé. Pour celles et ceux qui suivent ce conflit depuis 2011, cette seule posture est déjà en soi responsable d’un malaise certain : le service public est-il dans son rôle en accompagnant une armée en train de commettre des crimes de guerre et de les justifier dans ce qui ressemble très fort à une opération de communication très bien huilée ?

On pourrait discuter de ce point. Mais le malaise s’approfondit quand différents éléments sémantiques brandis par Damas depuis des années viennent ponctuer le reportage comme autant de faits, à peine questionnés sur un plan rhétorique. D’emblée, il semble en effet acquis que le régime a « repris » cette région au terme de « longs combats » menés contre des « groupes djihadistes ayant fait allégeance à daech ». On ne sait pas bien de quels groupes parle alors France 2. Outre le fait qu’aucun groupe armé présent dans la bourgade de Maraat al-Nouman n’était relié à l’Etat islamique, on comprend mal comment les bombardements systématiques de populations civiles de ces derniers mois peuvent être assimilés à des « combats ». La notion même de « dernière ligne de front » évoquée dès le début du reportage ferait rire jaune les forces armées qui ont réellement vaincu Daech en Syrie et en Irak.

Violence

Car il ne s’agit pas de « combats » ni de « reconquête » mais bien d’une opération de bombardements intensifs des hôpitaux, écoles, mosquées et zones résidentielles visant à faire régner la terreur, couper toute velléité d’opposition et au final faire partir les habitants en les jetant sur les routes. Ces crimes de guerre ne sauraient exister sans l’intense propagande qui vise à les faire passer pour un mal nécessaire pour ramener les choses au « calme ».

On voit d’ailleurs comment cette communication se déploie à travers ce reportage, sans doute en partie par manque de connaissance du dossier des journalistes sur place, relayant la version de l’histoire que l’armée et les services syriens leur rapportent. Comme cette inévitable référence à « l’inestimable patrimoine culturel syrien » dont Damas serait le garant, alors même que ce patrimoine subit lui aussi des bombardements depuis 2011. Ou encore cette scène assez surréaliste où l’on peut voir des habitants de Damas venir chercher leur ration de nourriture, les subventions du régime présentées comme « ce qui leur permet de tenir ». Comme si c’était une guerre abstraite qui avait plongé les Damascènes dans la misère et non pas ce pouvoir sanguinaire ayant décidé de réprimer par la violence les premières contestations pacifiques en 2011.

Ce n’est pas la première fois que France 2 propose un sujet sous un angle se confondant avec une opération de communication en faveur du régime de Damas. Rappelons-nous notamment de l’interview complaisante de Assad menée par David Pujadas en avril 2015, ou encore le mémorable documentaire « Un œil sur la planète » consacré par la chaîne à la Syrie en février 2016, laissant derrière lui l’impression que France 2 avait été momentanément hackée par le Réseau Voltaire de Thierry Meyssan.

Cynisme

S’agit-il là d’une ligne éditoriale ? C’est une question que nous sommes véritablement en droit de nous poser. S’il est vrai que le narratif du régime Assad s’est largement répandu, n’est-on pas en droit d’attendre du service public un regard critique à son égard, remettant le respect des droits humains au centre des préoccupations ?

Car si toute guerre doit être mise en récit, il ne s’agit jamais de reprendre tel quel celui de l’oppresseur, ni même de trouver un « juste milieu » entre deux versions, mais bien d’œuvrer pour un journalisme à la fois basé sur les faits et ne permettant en rien de justifier ou de relativiser des crimes dont nous devons rappeler qu’ils seront un jour jugés.

Le « refus du manichéisme » souvent présenté par les défenseurs de Damas comme un argument pour donner la parole à des criminels de guerre ne peut pas se transformer en relativisme moral faisant le jeu de ces derniers. Le « réalisme » brandi par les soutiens du régime pour justifier le maintien au pouvoir de Bachar al-Assad doit être questionné et mis en perspective factuelle et éthique : est-ce vraiment « réaliste » de présenter comme souhaitable la reprise de pouvoir par un pouvoir qui est responsable de la mort de plusieurs centaines de milliers de Syriens ?

La manière dont nous parlons du conflit en Syrie a une réelle implication sur ce dernier. Elle peut susciter la solidarité ou au contraire l’endiguer, mettre au ban des criminels de guerre ou au contraire les réhabiliter. Après 9 ans de conflit, il est urgent de questionner une sémantique relativiste qui fait le jeu du cynisme des meurtriers. Cette sémantique n’a pas sa place en démocratie, et encore moins sur le service public.

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Photo : capture d’écran, France 2.

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