Cette forme invisible du « hard power » occidental est cynique : elle utilise un peuple en détresse et l’affame davantage.
En Syrie, l’Occident souffle sur les braises d’une crise qu’il prétend combattre. Il endosse respectivement les rôles du pyromane et du pompier. Un brin « complotiste » comme expression. Mais aujourd’hui, la présence des forces spéciales américaines, britanniques et françaises à l’est de l’Euphrate, le soutien officiel aux « modérés » d’Idlib, et maintenant les sanctions, viennent corroborer un peu plus cette théorie.
Cette nouvelle guerre imposée, économique, ne fait pas la une. Pourtant, en Syrie, elle touche tout le monde. Elle est, certes, moins bruyante que les bombardements et que le cri des victimes. Mais elle est globale, longue et terriblement plus vicieuse. Aujourd’hui, la plupart des Syriens vous dira par pudeur et fierté que le pays va bien. Sauf que la réalité est tout autre. Et le « ras-le-bol » est palpable.
L’Occident empêche par exemple toute importation de carburant en Syrie afin de paralyser le pays. L’énervement nait ainsi des heures d’attente pour 20 litres d’essence – rationnement oblige. Les queues sont interminables, les gens peuvent « patienter » plus de 48 heures dans leurs voitures. Les uns relativisent en insultant les dirigeants occidentaux : « L’Occident veut mettre à genoux tous les pays indépendants et ennemis d’Israël ». Les autres cachent difficilement leur agacement : « Le pétrole c’est la merde du diable, quand on en a on nous le vole, quand on en n’a pas on se soumet ».
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L’armée essaye tant bien que mal d’apaiser la situation malgré la recrudescence des tensions sociales. Les taxis des villes ont quasiment doublé le prix des trajets, les ambulances limitent leurs déplacements, les entreprises se cantonnent au marché local, les étudiants n’arrivent plus à se rendre à l’université et l’acheminement des principales vivres se fait au compte-gouttes.
Au lendemain de la première guerre du Golfe, en 1991, l’Irak avait subi les affres des sanctions occidentales. Et durant la décennie, plus de 500 000 Irakiens étaient morts en raison de l’embargo sur les matières premières. Victimes justifiées, pour rappel, publiquement par Madeleine Albright, ancienne secrétaire d’Etat américaine sous la présidence de Bill Clinton. Dont il est difficile d’oublier la froideur des mots : « Cela en valait la peine » (« It was worth it »).
Délaissés pour compte
Cette forme invisible du « hard power » occidental est cynique. Elle se sert d’un peuple en détresse et l’affame davantage encore, jusqu’à ce qu’il se soulève contre son propre gouvernement. Rien de complotiste dans cette affirmation ; c’est malheureusement la dure réalité pour les Etats qui osent s’opposer aux volontés de Washington. A qui par mimétisme, mais surtout pas suivisme, l’Europe emboîte généralement le pas.
Pour autant, en l’espèce, l’Union européenne martèle qu’il faut trouver une solution à la crise des réfugiés syriens – soigneusement entretenue par le régime des sanctions. Les nombreux réfugiés au Liban et en Jordanie aimeraient revenir, mais à quel prix ? Doivent-ils rentrer pour subir de plein fouet les conséquences économico-sociales de l’embargo ? Les réponses glanées sont sans équivoque : « Ici, au Liban, j’ai un travail, j’ai un toit, pourquoi je rentrerais ? Il n’y a plus de pétrole, plus de gaz en Syrie ».
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Il y a désormais fort à parier que les Etats-Unis et l’Union européenne réagiront sévèrement à l’assaut russo-syrien sur la localité d’Idlib. La sémantique diabolisante sera une nouvelle fois de mise. Tout comme les fondamentaux sur la « chute », et non la « libération », d’une ville aux mains du terrorisme international. On jouera à nouveau sur le sensationnel, sur l’émotif, alors que cette ville représente le dernier bastion djihadiste en Syrie. Où la charia y est imposée, et quiconque s’y oppose doit payer un lourd tribut.
Pourtant, c’est bien l’Occident droit-de-l’hommiste qui protège cette ville – nous ne sommes pas à une contradiction près dans ce conflit. Et les sanctions tuent avec le silence complice des médias « mainstream ». Quant à la veuve et à l’orphelin si chers aux yeux des Occidents, ils demeurent les délaissés pour compte d’une politique arabe désastreuse.

D’origine libanaise, diplômé en géopolitique, arabisant et passionné par l’histoire et la culture orientales, Alexandre Aoun cherche, à travers ses pérégrinations en Orient, à comprendre les sensibilités locales et les problématiques régionales.