Aux Émirats arabes unis, la science comme vecteur de puissance

En se positionnant sur le secteur spatial, les EAU veulent faire acte de modernité et développer une expertise nationale.

Une sonde autour de mars en février 2021. Un rover lunaire en 2022. Le pari scientifique des Émirats arabes unis témoigne du positionnement croissant du petit pays du Golfe sur les nouvelles technologies et la science. En s’invitant dans l’espace, un « lieu d’exploitation symbolique et un lieu privilégié d’expression géopolitique » selon Florence Gaillard-Sborowsky, chargée de recherche à Fondation pour la Recherche Stratégique (FRS), les Émirats cherchent à transmettre au reste du monde leur volonté de puissance.

Aux Émirats, les femmes, des scientifiques comme les autres ?

Dans le domaine spatial, les Émirats enchaînent les « premières fois » du monde arabe. Première mission arabe vers Mars avec la sonde Al-Amal en juillet dernier. Première femme astronaute du monde arabe avec la nomination de Nora Al Matrooshi au sein du groupe 23 de la NASA. Dans les deux cas, ces évènements ne sont pas des surprises. D’abord parce que les Émirats arabes unis se sont positionnés sur le secteur spatial depuis déjà dix ans. Et ont su y mettre les moyens, tout en trouvant de bons alliés.

Ensuite parce que la féminisation du secteur scientifique est, dans le pays, déjà bien entamée. Selon les données officielles, les femmes représentent 70 % des diplômes universitaires et elles constituent 56 % des diplômés en science, technologie, ingénierie et mathématique. Le 9 février, l’équipe émiratie engagée sur la sonde Hope était composée à 80 % de femmes. La conséquence d’un processus logique, sachant que les femmes sont, dans le pays, largement acculturées aux filières scientifiques universitaires. « Il y a beaucoup de femmes qui sont représentées dans les secteurs scientifiques et technologiques, ce n’est pas juste un discours » affirme Florence Gaillard-Sborowsky. Une manière aussi, pour les jeunes émiriennes, d’éviter un mariage trop précoce dans un pays où la tutelle masculine reste très prégnante. Mais qui, évidemment, ne rend pas moins symbolique l’intégration de Nora Al Matrooshi au programme spatial émirati. « Ils veulent se placer sur la même longueur d’onde que la Nasa qui, le 31 mars 2018, a déclaré que les États-Unis retourneraient sur la lune en 2024 et qu’ils enverraient pour la première fois une femme dans l’espace, en plus une femme de couleur » affirme Gérard Vespierre, chercheur associé à la Fondation d’Études pour le Moyen-Orient (FEMO). Un moyen indirect aussi pour montrer que « la femme est une citoyenne comme les autres », selon Florence Gaillard-Sborowsky.

« D’une logique d’achat sur étagère à une logique de réappropriation nationale des technologies »

Certains détracteurs du programme spatial émirati reprochent au pays de faire intervenir des acteurs étrangers pour combler les supposées failles capacitaires nationales, tant scientifiques que techniques. Une critique qui, il y’a quelques années, n’était en effet pas infondée. Si le soutien des acteurs privés étrangers a été un vecteur déterminant de développement, le pays cherche aujourd’hui à bénéficier de ses propres capacités opérationnelles dans le domaine spatial. « On est passé d’une logique d’achat sur étagère à une logique de réappropriation nationale des technologies », explique Florence Gaillard-Sborowsky au Monde arabe.

Par exemple, le satellite DubaïSat 1, placé en orbite en 2009 et retiré en 2017, puis DubaïSat 2, lancé en 2013, ont tous les deux été réalisés par le fleuron sud-coréen Satrec Initiative, sous la direction du Central spatial Mohammed bin Rashid. Mais, « aujourd’hui ils ont la capacité de développer nationalement un satellite », affirme Florence Gaillard-Sborowsky. Avec, malgré tout, un dernier petit bémol : « Reste l’absence de programme de lanceur qui est le critère d’une puissance spatiale ». Pour preuve, le satellite KhalifaSat a été assemblé par une équipe d’ingénieurs émiratis mais lancé en octobre 2019 depuis le Japon. Signe de cette volonté de bénéficier, au niveau national, des technologies suffisantes pour développer un pôle d’expertise arabe, « tous les contrats qu’ils passent sont des contrats avec des transferts de technologie » abonde Florence Gaillard-Sborowsky. Quant au -futur- rover lunaire Rashid, il devrait être développé entièrement au sein du centre spatial émirati. En revanche, l’engin chargé de l’alunissage sur la surface de notre satellite sera confié à un partenaire étranger.

« Tous les contrats qu’ils passent sont des contrats avec des transferts de technologie », Florence Gaillard-Sborowsky (FRS)

La prochaine étape du programme spatial émirati est l’envoi d’un rover sur la lune d’ici 2022. Pour atteindre ses objectifs, l’agence spatiale émiratie peut compter sur un budget colossal, estimé à 5 milliards d’euros. À titre de comparaison, l’Agence spatiale européenne dispose, pour 2021, d’un budget de 6,49 milliards d’euros, tandis que celui du CNES en France s’élève à « 2,7 milliards, dont un peu plus d’un milliard pour leur contribution à l’Agence spatiale européenne » précise Florence Gaillard-Sborowsky pour France TV Info.

Limiter le positionnement des Émirats sur le spatial aux seuls — quoiqu’indéniables — progrès de la science reste cependant insuffisant. Selon Florence Gaillard-Sborowsky, les enjeux sont transversaux, considérant que « l’un des objectifs prioritaires (du pays) est de maximiser les retombées potentielles de l’utilisation de l’espace aux niveaux économiques, social et sécuritaire ».

Ancrer les technologies dans la coopération internationale

Pour les Émirats, le positionnement stratégique sur les nouvelles technologies s’inscrit aussi dans sa démarche de diversification économique, dont le processus a été entamé de très longue date. « Les Émirats arabes unis ont cette ambition de diversification maximale de longue date », explique François-Aïssa Touazi, avec « de plus en plus la volonté de se positionner sur l’innovation, les nouvelles technologies, l’intelligence artificielle à travers des coopérations internationales ».

Comme avec Israël le mardi 20 octobre dernier avec qui les Émirats arabes unis ont, non seulement normalisé leur relation, mais aussi signé des accords relatifs, entre autres, à la coopération dans les domaines de la science et de l’innovation. Une approche partenariale qui, dans le cadre de la lutte contre la pandémie de Covid-19, s’est aussi traduite par le lancement de la production industrielle du vaccin chinois dans le pays. Signe de la volonté des Émirats de prouver son ouverture au monde, le pays est bien décidé à maintenir l’exposition universelle 2021, prévue le 1er octobre prochain.

 

Retrouvez le premier article de notre dossier consacré aux Émirats arabes unis : « Émirats arabes unis : dans la tempête du Covid-19 ».

Partages