Entre Israël et la Palestine, ces terrains de mésentente

Depuis 1967, le conflit israélo-palestinien porte essentiellement sur la terre, et sur la légitimité à la contrôler.

Jeudi 11 juillet, les forces de sécurité israéliennes ont tiré des gaz lacrymogènes pour disperser une manifestation près de la barrière de sécurité en Cisjordanie, alors qu’un petit groupe de Palestiniens avait dressé une tente à la périphérie de Beit Sahour, une localité à quelques encablures de Jérusalem. Selon les médecins du Croissant-Rouge en Palestine, 13 personnes ont souffert d’inhalation de gaz, mais aucune n’a eu besoin de soins hospitaliers.

350 personnes « impactées »

Ce rassemblement avait été décidé à la suite d’une décision de justice contestée. Le 11 juin dernier, la Haute cour israélienne a effectivement rejeté une requête déposé en 2017 par des résidents du quartier de Wadi al-Hummusde, à Sur Baher (ville de 24 000 habitants, située dans la périphérie de Jérusalem-Est), demandant à ce qu’un ordre émis par l’armée israélienne, interdisant toute construction dans la zone, soit annulé. Et que la démolition de leurs bâtiments ne soit pas exécutée. Une semaine plus tard, le 18 juin, ces mêmes résidents recevaient des autorités israéliennes un « avis d’intention de démolir » avec préavis de 30 jours.

Constructions risquant la démolition en Palestine. OCHA

Les manifestants réunis à Beit Sahour n’ont pas hésité à qualifier ces plans de démolition de « crime de guerre »« Nos activités de solidarité ne s’arrêteront pas à nos frère et sœurs. Nous continuerons d’ériger d’autres tentes tout autour et faire entendre notre voix et notre message à la communauté internationale », a pour sa part promis Younes Arar, 48 ans, membre de la Commission « Colonisation et résistance au mur » de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP). Alors que les résidents du quartier de Wadi al-Hummusde craignent la destruction prochaine de 100 autres bâtiments.

Si des structures ont déjà été démolies à proximité de la barrière de séparation israélienne, à Jérusalem-Est, « ce serait la première fois que des démolitions de maisons ont lieu sur la base d’un ordre militaire » – pris en 2011 pour des raisons de sécurité – indique le Bureau des Nations unies pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA), dans un communiqué publié le 9 juillet. Selon lui, la destruction voulue par l’Etat hébreu concerne (pour l’instant) une dizaine de bâtiments, construits ou en construction, pour environ 70 appartements, tandis qu’une vingtaine de personnes serait déplacée et jusqu’à 350 « impactées ».

« Plan du siècle »

A l’appui de ces démolitions, Tel-Aviv avance que les bâtiments concernés se trouvent dans une zone de sécurité où la construction est interdite. Les Palestiniens, quant à eux, estiment qu’il est quasiment impossible d’obtenir des permis de construire de la part des autorités israéliennes, ce qui entraîne des pénuries de logements à la frontière israélo-cisjordanienne. Et dans un contexte de vives tensions entre l’Autorité palestinienne et Israël, notamment après que les Etats-Unis ont dévoilé fin juin dernier leur « plan du siècle » pour résoudre le conflit – celui-ci, comme attendu, fait la part belle aux Israéliens -, difficile voire impossible de trouver un terrain d’entente.

Constructions risquant la démolition en Palestine. OCHAPour prendre le seul exemple de Sur Baher, la plus grande partie de la ville est située « dans la zone municipale de Jérusalem-Est annexée unilatéralement l’an dernier par l’Etat hébreu », indique l’ONU. Ce qui n’empêche pas « les Palestiniens de revendiquer quelque 4 000 dounams [4 kilomètres carrés, ndlr] de terres dans les zones A, B et C telles que désignées dans les accords d’Oslo. » Ni même de délivrer des permis de construire – toujours en vertu de ces accords -, alors que « dans la pratique, l’Autorité palestinienne n’est pas en mesure d’accéder aux zones A et B de Sur Baher ou d’y fournir des services ».

En tout, depuis 2009, les autorités israéliennes ont démoli, ou contraint des propriétaires à démolir, 69 structures à Sur Baher, faute de permis de construire. « Dont 46 étaient des maisons habitées ou en construction », précise le Bureau des affaires humanitaires de l’ONU. Quelque 400 personnes ont ainsi été « déplacées ou autrement touchées par des démolitions, dont la moitié étaient des enfants de moins de 18 ans ». Un chiffre qui pourrait être amené à grossir dans les prochains mois, alors qu’Israël a entrepris de mettre la main sur plusieurs parcelles palestiniennes (hors zone tampon).

« Contrôle territorial et politique »

Ces revendications de territoires, de la part de Tel-Aviv, ont surtout émergé lors de la « Guerre des Six Jours ». Pour ne jamais réellement quitter les esprits israéliens. « A partir de 1967, en effet, le conflit entre Palestiniens et Israéliens porte essentiellement sur la terre et sur la légitimité des uns et des autres à y exercer une quelconque influence ou domination, d’après Aude Signoles, associée à l’Institut de recherches et d’études sur les mondes arabes et musulmans (Iremam) et spécialiste de la question palestinienne. Dès lors, établir des plans d’occupation des sols et délivrer des permis de construire constitue un véritable enjeu. »

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Entre 1967 et 1993, explique-t-elle, la mainmise de l’Etat d’Israël sur les plans d’urbanisme et sur la délivrance des permis de construire « a ainsi eu pour conséquence, non seulement de limiter les activités de construction palestiniennes, mais aussi de favoriser l’expansion des colonies en Cisjordanie et dans la bande de Gaza ». La signature des accords d’Oslo, en vertu desquels « les municipalité palestiniennes sont, légalement, les autorités responsables de l’aménagement des villes proclamées ‘‘autonomes’’ en Cisjordanie », ne sera qu’une courte parenthèse. Puisque très rapidement Tel-Aviv reprendra le contrôle de l’urbanisme en territoires palestiniens :

« Les villes et les villages de Cisjordanie et, dans une moindre mesure, de la bande de Gaza, sont touchés de près par la fragmentation territoriale issue des accords d’Oslo. Les zones A et B d’autonomie, qui regroupent la majeure partie de la population palestinienne, sont exiguës et discontinues ; elles constituent, en quelque sorte, des enclaves dans des espaces plus larges, les zones C, sur lesquels l’Etat d’Israël garde le contrôle territorial et politique », renseigne Aude Signoles.

Ismail Obeidi, 42 ans et père de 6 enfants, est propriétaire d’une des maisons de Sur Baher qui doit être démolie le 18 juillet. Jusqu’en 2016, il vivait « au troisième étage de la maison de [ses] parents », construite (sans permis) dans le quartier de Jabal al-Mukkabir, à Jérusalem-Est. « En raison des amendes et de la croissance de ma famille, j’ai acheté ce terrain ici en 2014. Je pensais qu’il serait plus facile d’obtenir un permis de construire dans la zone B et, en effet, j’ai obtenu un permis du ministère palestinien en février 2015 ». Après avoir « tout fait selon la loi [et] investi beaucoup d’argent dans la construction et l’ameublement » de sa maison, il ne pourra qu’assister désemparé à sa démolition, dans quelques jours. Pour des raisons de sécurité, dit-on de l’autre côté du « mur ».

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