Entre promotion de l’humanisme et ventes d’armes, les Etats exportateurs, comme la France ou la Suisse, doivent choisir.
L’espoir fut de courte durée. Quelques jours après avoir annoncé qu’elle suspendait une livraison d’armes à l’Arabie saoudite, l’Espagne a fait volte-face. Riyad devrait donc bien recevoir les 400 bombes à guidage laser, comme l’a indiqué le chef du gouvernement espagnol, Pedro Sanchez (Parti socialiste), hier. Ceci pour préserver les bonnes relations entre les deux royaumes, selon lui. Car « le dilemme auquel le gouvernement était confronté était de rompre ses liens commerciaux, économiques et politiques avec l’Arabie saoudite, avec l’impact que cela pourrait avoir dans certaines régions du pays, […] ou bien exécuter un contrat signé par le gouvernement précédent. » Décryptage : le contrat de 9,2 millions d’euros finalement sauvé fait partie d’un accord commercial bien plus important, chiffré à 1,8 milliards d’euros ; hors de question, par conséquent, de risquer de perdre une telle opportunité économique, des milliers d’emplois étant d’ailleurs en jeu. Et si d’aucuns ont des critiques à formuler, qu’ils les dirigent contre Mariano Rajoy, le chef de gouvernement (Parti populaire) qui a signé le contrat.
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Le renoncement espagnol, regrettable d’un point de vue éthique – et juridique, si des armes espagnoles se retrouvent sur le sol yéménite, où Riyad mène des frappes et raids aériens depuis mars 2015 -, n’en demeure pas moins évident. Comme s’il régnait sur les ventes d’armes à l’Arabie saoudite – et aux Emirats arabes unis (EAU) – une sorte de fatalité, qui ferait passer les intérêts économiques des pays exportateurs bien avant ceux des populations potentiellement visées par lesdites armes. La France, de ce point de vue-là, ne peut qu’acquiescer. Pressé par de nombreuses ONG de faire la lumière parfaite sur ses ventes de matériels militaires aux pays du Moyen-Orient – mais pas que -, le gouvernement français fait la sourde oreille. Les premières regrettent notamment que la question appartienne au domaine réservé du président de la République. Domaine auquel le Parlement, seul capable d’exercer un contrôle démocratique, n’a bien sûr pas accès. La raison de ce brouillard volontaire tient en un mot – et n’est pas propre à Paris : influence.
« Crise humanitaire extrêmement grave »
« La France veut vraiment se mettre dans les pas de l’Arabie saoudite ou des Emirats arabes unis pour ne pas perdre sa place au Moyen-Orient ni son influence » confiait il y a quelques jours Tony Fortin, chargé de mission à l’Observatoire des armements (Obsarm). L’ONG, tout comme 15 autres organisations internationales, a adressé à Emmanuel Macron, le président français, une lettre début septembre, le priant de revoir sa copie en matière de ventes d’armes. Pas sûr que ce dernier y soit très favorable. « La France a peur de perdre sa place si elle commence à condamner Riyad ou Abou Dabi. Elle craint également de perdre tous les contrats qu’elle a signés en Arabie saoudite ou au Yémen par exemple » explique Tony Fortin. Une situation que l’eurodéputé belge Philippe Lamberts (Verts) a parfaitement su résumer : « Ce qui se joue, c’est le chantage à l’emploi. Cela a rendu la pression politique encore plus forte. » Partant, une question doit être posée, selon le chargé de mission à l’Obsarm : « Jusqu’à quand cela est tenable, à partir du moment où il y a une crise humanitaire extrêmement grave au Yémen ? »
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Certains Etats européens ont commencé, non seulement, à s’interroger, mais surtout à agir. En juin dernier, le Conseil d’Etat belge a suspendu huit licences d’exportations d’armes à l’Arabie saoudite accordées par le gouvernement ; en Allemagne, le gouvernement d’Angela Merkel s’est engagé à durcir les conditions d’exportation et à « mettre fin immédiatement aux exportations d’armes vers des pays impliqués dans le conflit yéménite » ; en Suisse, une coalition politique, qui regroupe plusieurs ONG et des représentants religieux, menace de lancer une initiative contre le Conseil fédéral, qui a assoupli les règles d’exportations d’armes aux pays en guerre ; en France, enfin, le député Sébastien Nadot a jeté les bases d’une commission d’enquête parlementaire, en avril dernier, afin d’exercer un contrôle sur les ventes d’armements. Lorsque l’on se réclame « pays des droits de l’Homme », s’agissant de l’Hexagone, ou quand son Etat est dépositaire des Conventions de Genève, s’agissant de la Suisse, n’y a-t-il pas urgence à remettre en cause le « commerce de la mort », au Yémen comme ailleurs ?
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