Au Moyen-Orient, la France parle à tout le monde

Pour des raisons historiques, économiques et diplomatiques, Paris souhaite s’adresser à toutes les parties dans la crise que connait actuellement la région.

La France, au Moyen-Orient, est sur tous les fronts. Avant de s’entretenir à Riyad avec le prince héritier saoudien, Mohamed ben Salman (« MBS »), il y a une dizaine de jours, Emmanuel Macron s’était rendu à Abou Dabi pour l’inauguration de l’antenne du Louvre – un voyage dont il a profité pour expliquer sa vision de la guerre contre l’organisation Etat islamique (EI) sur une base navale française. Jean-Yves Le Drian, le ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, s’est également rendu à Riyad, hier, où il a rencontré « MBS » et le Premier ministre libanais, Saad Hariri, pour tenter d’apaiser les tensions qui ont découlé de la démission de ce dernier.

Il y a quelques semaines, alors que la crise diplomatique entre l’Arabie saoudite et le Qatar – déclenchée le 5 juin dernier par Riyad – était encore vive, le chef de l’Etat français avait reçu l’émir Hamad ben Khalifa Al-Thani à l’Elysée pour lui apporter son soutien. A l’issue de leur rencontre, il avait appelé le régime saoudien à desserrer l’étau autour du petit émirat, accusé par Riyad de s’être rapproché de l’Iran, la bête noire des Saoudiens dans la région. Emmanuel Macron doit d’ailleurs se rendre à Téhéran, courant 2018, pour évoquer, entre autres, le dossier nucléaire, alors que les Etats-Unis affichent une ligne clairement anti-Iran depuis l’arrivée au pouvoir de Donald Trump.

« Rôle historique »

Contrairement au président américain, dont le cœur – et les intérêts – penche plutôt du côté de l’Arabie saoudite, le président français ne choisit pas. Ou choisit de ne pas choisir plus exactement. Résultat : Emmanuel Macron essaie, depuis quelques semaines, et plus encore ces derniers jours, de parler à toutes les parties. Fidèle à sa ligne de conduite politique interne. Pour Pascal Boniface*, géopolitologue et directeur de l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), « l’intérêt du chef de l’Etat est de faire baisser les tensions dans une région où elles sont déjà nombreuses. » Pour cela : « Il faut pouvoir apparaître comme un pays central qui a des relations avec les uns et les autres. »

Des relations diplomatiques, donc, mais également économiques. « On redoute de perdre des alliances qui rapportent, même si l’on ne peut résumer la France à un pays marchand d’armes » explique-t-il, mentionnant « des contrats d’armement et des contrats dans le civil ». De son côté, Pierre Servan*, expert en stratégie militaire et spécialiste des questions de défense, estime qu’ « il y a aussi de la part de la France une tradition ancienne » et que son intervention au Moyen-Orient ne peut s’expliquer par les seuls intérêts économiques. « C’est le rôle historique de la France d’essayer de peser face à des événements où ceux qui veulent en découdre sont plus nombreux que ceux qui veulent coudre ou recoudre. »

« Partialité »

Et au Liban, où l’Arabie saoudite et l’Iran se disputent très indirectement la suprématie de la région et menacent la stabilité du pays – voire plus –, Paris est plus que jamais engagée. Emmanuel Macron doit recevoir demain Saad Hariri pour discuter de tous les sujets brûlants qui préoccupent le Moyen-Orient. « Heureusement que la France, qui conserve cette capacité de parler à tout le monde, essaie d’agir » estime Pierre Servan. Attention, toutefois, aux conséquences que peut avoir une main tendue dans cette « poudrière ». Par exemple, « les Iraniens pourraient voir d’un mauvais œil ce rapprochement avec le Premier ministre libanais », sunnite et proche des Saoudiens, alerte Agnès Levallois*, consultante et vice-présidente de l’Institut de recherches et d’études méditerranéenne Moyen-Orient (iReMMo).

Dans un communiqué du ministère des Affaires étrangères, la République islamique a accusé, vendredi matin, la France de « partialité » et estimé que son approche aggravait les crises dans la région. Une sortie assez véhémente, mais davantage liée aux propos tenus la veille par Jean-Yves Le Drian qu’à la venue du Premier ministre libanais à Paris semble-t-il. Le chef de la diplomatie française avait effectivement affirmé depuis Riyad que « le rôle de l’Iran et les différents domaines d’actions de ce pays nous inquiètent ». Un tropisme saoudien étonnant, alors que, comme le rappelle Pascal Boniface, la politique d’Emmanuel Macron au Moyen-Orient, c’est : « Je parle avec tout le monde ».

*Intervenant dans l’émission « C dans l’air » du 16 novembre 2017

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