Y aura-t-il un avant et un après « 2-Octobre » pour Mohamed ben Salman ?

Les Etats-Unis ont commencé à revenir sur leur soutien inconditionnel au prince héritier saoudien après le meurtre de Jamal Khashoggi.

Il y a exactement un an, nous présentions Mohamed ben Salman (dit « MBS ») comme la personnalité à suivre, au Moyen-Orient, en 2018. Si les événements de l’année écoulée nous ont donné raison, aucun don de voyance là-dessous. Tout le mérite revient au principal intéressé, qui pouvait difficilement passer inaperçu, dans cette région pourtant ô combien complexe, en tant que leader de facto d’un poids lourd géopolitique. Capable, surtout, d’un progressisme sociétal inédit tout en charriant de vieilles idées conservatrices. Mais l’ambivalence, poussée à l’extrême, a un coût. On ne peut, à moins de convoquer l’absurde ou l’irresponsable, accorder aux femmes le droit de conduire tout en embastillant certaines têtes de proue du féminisme saoudien. Tout doit se payer un jour. Même lorsque l’on compte parmi ses alliés les plus proches les Etats-Unis. Ou comptait ?

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Jeudi dernier, le Sénat américain a adopté deux résolutions, visant, d’une part, à faire cesser le soutien de Washington à Riyad, dans la guerre qu’elle mène au Yémen depuis près de 4 ans. Et, d’autre part, à reconnaître l’entière responsabilité du prince héritier saoudien dans le meurtre de Jamal Khashoggi. Le journaliste et dissident saoudien, assassiné le 2 octobre dernier au sein du consulat d’Arabie saoudite à Istanbul (Turquie), ayant, bien malgré lui, sacrément obscurci l’avenir de MBS. Depuis cet événement, l’administration Trump, à l’origine aveuglément pro-saoudienne, n’hésite pas à adresser des remontrances à l’homme fort de Riyad. Dont les deux textes votés par le Sénat, à portée « seulement » symbolique – la Chambre des Représentants a décidé de bloquer toute loi anti-Riyad -, ne sont que la suite logique.

« Aux côtés du prince »

Difficile ainsi de ne pas sentir le vent tourner. D’autant plus qu’au Yémen – « pire crise humanitaire du monde » selon les Nations unies (ONU) -, rebelles houthistes et gouvernement, réunis la semaine dernière en Suède, viennent de s’entendre sur l’instauration d’un cessez-le-feu dans les régions les plus touchées par les combats. Ceci après un gros forcing de la part de l’ONU, entre autres, pour que les combattants déposent les armes. Preuve, d’une certaine manière, que les consciences, petit à petit, s’aiguisent. Dans le même temps, un groupe de sénateurs américains promettait de faire pression pour que le Congrès adopte des sanctions humanitaires et interdise les ventes d’armes à l’Arabie saoudite, premier importateur de matériel militaire au monde en 2017, selon l’Institut international de recherche sur la paix.

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Sur le sujet du soutien américain à Riyad, l’administration américaine s’est d’ailleurs montrée particulièrement tranchante vis-à-vis du grand allié saoudien. En novembre dernier, Donald Trump avait décidé de stopper tout ravitaillement en carburant des avions saoudiens engagés dans l’espace aérien yéménite. Une opération qui durait depuis mars 2015, et dont le Pentagone, la semaine dernière, a chiffré le coût à 331 millions de dollars. Expressément réclamés par Washington, donc, aux Saoudiens et aux Emiratis. On a connu mieux comme marque de soutien… Ce qui ne signifie pas, loin de là, que le président américain, quasi seul aux commandes, compte lâcher pour de bon le royaume. Au contraire : Donald Trump devrait se tenir « aux côtés du gouvernement saoudien et du prince », a avancé Reuters.

« Pratiques moyenâgeuses »

Ceci dans son intérêt avant tout. Selon certains officiels américains, l’arrêt du soutien de Washington à Riyad pourrait compliquer, non seulement, les pourparlers au Yémen, mais également le plan de paix israélo-palestinien des Etats-Unis, attendu depuis plusieurs mois maintenant. Riyad étant supposée appuyer son allié historique dans ce dossier. Le président américain pourra d’ailleurs compter sur les opposants à la résolution anti-Riyad, qui « hésitent à prendre des mesures pour perturber les relations stratégiques des Etats-Unis avec l’Arabie saoudite, considérée comme un contrepoids essentiel à l’Iran, ennemi juré d’Israël » – proche allié de Washington -, ajoute l’agence de presse. Dans ce nœud géostratégique qu’est la région du Golfe, en fin de compte, les alliances plient mais en aucun cas ne rompent.

Car plus que Mohamed ben Salman, c’est avant tout la relation avec le royaume saoudien que l’administration américaine entend préserver. De nombreux spécialistes s’accordent ainsi à dire que le prince héritier saoudien, à moins d’un virage à 180 °, risque de perdre la couronne pourtant promise. Le roi Salman, il y a quelques semaines, a commencé à remettre la main sur les affaires familiales. Sentant, vraisemblablement, que plus d’un haut dignitaire saoudien écarté par son « fils préféré » pourraient souhaiter fomenter une « révolution de palais ». C’est par exemple ce que pense le directeur de la rédaction d’un hebdomadaire français – dont nous tairons le nom -, spécialiste du monde arabe, croisé au Forum de Doha ce week-end. Si en 2018, MBS, aux « pratiques moyenâgeuses » a-t-il lâché, était la personnalité à suivre au Moyen-Orient, il se pourrait que 2019 le voie disparaître.

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