La décision est probablement une tentative d’apaiser les tensions entre Beyrouth et les monarchies du Golfe.
Le ministre libanais de l’Intérieur a ordonné, mercredi, l’expulsion de certains membres d’un parti d’opposition chiite interdit à Bahreïn, après que ceux-ci ont critiqué, depuis Beyrouth, la capitale du Liban, le bilan de leur pays en matière de droits humains.
« Partisans du terrorisme »
L’ordre d’expulsion est probablement une nouvelle tentative d’apaiser un fossé diplomatique sans précédent, entre le « pays du Cèdre » et plusieurs monarchies arabes du Golfe, dont Bahreïn – une monarchie sunnite dont la population est majoritairement chiite. Au début du mois, le ministre libanais de l’Information, au cœur de la crise régionale qui dure depuis des semaines, a démissionné pour tenter d’apaiser le désaccord.
En 2016, Bahreïn a suspendu Al-Wefaq, le plus grand parti politique d’opposition de cette nation insulaire, dans le cadre de sa répression de la dissidence qui a éclaté à la suite des « printemps arabes », en 2011, dans la région. Le parti, dont beaucoup de membres vivent désormais en exil, a tenu la semaine dernière une conférence de presse à Beyrouth pour lancer son rapport annuel sur les droits humains.
Il n’a pas été immédiatement précisé combien de membres d’Al-Wefaq seront affectés par cette décision. Selon une déclaration publiée par l’agence de presse publique libanaise, Bassam Mawlawi s’est entretenu mercredi au téléphone avec son homologue bahreïni, Rachid ben Abdullah Al Khalifa, avant de demander à la Sûreté générale libanaise d’expulser les membres non libanais d’Al-Wefaq.
Au cours de sa conférence, organisée dans un hôtel de Beyrouth, le parti chiite a déclaré avoir recensé plus de 20 000 détenus à Bahreïn, depuis 2011, dont des centaines de détentions illégales et de disparitions forcées rien qu’en 2019 et 2020.
Bahreïn a déclaré qu’il « proteste fermement » contre ce qu’il décrit comme un Liban accueillant des « membres hostiles désignés comme partisans du terrorisme », pour diffuser de fausses informations qui diffament la petite nation du Golfe. Il a appelé le Liban à interdire de tels événements, affirmant qu’ils « ne sont pas en harmonie avec les relations fraternelles ».
« Bilan abyssal »
La querelle diplomatique entre le Liban et l’Arabie saoudite, ainsi que d’autres pays arabes du Golfe, a éclaté à la fin du mois d’octobre, lorsque des remarques du ministre libanais de l’Information, George Kordahi, ont été diffusées, ce dernier critiquant la guerre menée par Riyad au Yémen, depuis 2015, et qualifiée par les Nations unies (ONU) de « pire catastrophe humanitaire du monde ». L’Arabie saoudite, suivie par les Émirats arabes unis, le Koweït et Bahreïn, ont ensuite retiré leurs ambassadeurs et demandé aux diplomates libanais de quitter leurs capitales.
Après des semaines de résistance, M. Kordahi a finalement démissionné. Mais la crise a persisté, en raison des préoccupations de l’Arabie saoudite et de ses alliés concernant l’influence croissante de l’Iran dans la région, notamment au Liban, où le groupe militant chiite Hezbollah, soutenu par Téhéran, exerce un pouvoir considérable. Bahreïn accuse d’ailleurs l’Iran de soutenir Al-Wefaq, également considéré comme un allié du Hezbollah.
« Lorsque Bahreïn ne peut pas intimider les législateurs qui critiquent son bilan abyssal en matière de droits humains dans des capitales comme Londres, Washington et Bruxelles, il semble qu’il ne puisse s’en prendre qu’aux États fragiles », a déclaré à l’agence américaine Associated Press Sayed Ahmed Alwadaei, directeur de l’Institut bahreïni pour les droits et la démocratie (basé à Londres). Une référence claire au Liban, aux prises avec la pire crise économique de son histoire.
Crédits photo : Le ministre de l’Intérieur du Liban, Bassam Mawlawi (AP).