Les Youtubeuses algériennes, vendeuses de rêve

De nombreuses algériennes ont des chaines Youtube dédiées à la mode. Un « féminisme » souvent critiqué pour sa superficialité.

Elles s’appellent Amira Riaa, Yumi Up, Ryma beauty addict, ManelTh, Femme Dz, Mademoiselle S, s’autoproclament spécialistes de la beauté ou du lifestyle, et envahissent les réseaux sociaux de leurs conseils. Depuis l’apparition de Youtube – le leader de l’hébergement de vidéos en ligne détenu par Google – en 2005, le phénomène marketing des « Youtubeuses beauté » n’a cessé d’impacter les consommateurs aux quatre coins du globe. En Algérie, le phénomène est relativement nouveau, contrairement à ce que pourrait laisser penser le nombre important de « followers » et d’abonnés que ces jeunes – la plupart du temps – femmes enregistrent.

Contrairement à une idée reçue, leur « métier » n’est pas si simple ; il ne suffit pas de se munir d’une caméra et d’une connexion à Internet pour devenir Youtubeuse. Encore faut-il captiver son audience et, pour que celle-ci augmente, faire sa propre publicité, dénicher les sujets qui vont faire mouche, puis recommencer. Jusqu’à avoir un grand nombre d’abonnés – parfois plusieurs centaines de milliers -, qui n’ont pas forcément conscience d’être des outils marketing. Les chaînes Youtube permettent effectivement aux marques de faire leur publicité à moindre coût, à condition d’envoyer tous les échantillons nécessaires – et, parfois, des cadeaux – aux Youtubeuses. Qui pourront se rémunérer lorsque les abonnés achèteront un produit mentionné dans une vidéo, après avoir cliqué sur un lien spécial offrant un pourcentage à la propriétaire de la chaîne.

Influence remarquable

Ce nouveau modèle marketing, crédible et peu coûteux – beaucoup moins que la publicité télévisée par exemple -, repose sur la proximité avec les consommateurs. Qui peuvent aisément s’identifier à ces nouvelles reines du petit écran. Toutefois, en Algérie, le phénomène des Youtubeuses n’a pas que le marketing pour seul aspect. Il s’agît d’une mode de société ou presque. Car les jeunes Algériennes qui s’ « offrent » à des milliers de paires d’yeux vendent, outre des produits de marques, du rêve.

Suivies par plus d’une centaine de milliers d’abonnés, les consœurs d’Amira Riaa, première Youtubeuse algérienne dont la chaîne dépasse les 552 000 abonnés, n’ont aucun problème à afficher leurs vies. Mariées, pour la plupart d’entre elles, elles filment des lives Instagram – le réseau social consacré au partage de photos, qui appartient au groupe Facebook – accompagnées de leur époux, souvent jeune comme elles. Et les milliers d’abonnées sont trimballées partout avec elles, via leur écran de smartphone : voyage, SPA, sortie, séance coiffure et même au travail. Voyeurisme ou simple curiosité de leur part ? Difficile à dire. Mais les abonnés restent extrêmement fidèles à ces stars d’Internet, qui exercent une influence remarquable sur elles. Et protéiforme.

Car certaines vont préférer montrer à leurs abonnées comment porter le voile islamique de manière « fashion », filmer leurs journées du mois de Ramadan et inonder leurs murs Facebook et leur compte Instagram de prières, tandis que d’autres, moins spirituelles, sont accro au maquillage, à la mode ou aux soins beauté. Et partagent avec leurs abonnées les astuces du moment tout en leur apprenant à se maquiller pour être toujours « à la page ». Une troisième catégorie de Youtubeuses, enfin, celles qui appartiennent à la classe (très) aisée, se plait à afficher son mode de vie luxuriant, ses voyages tout au long de l’année, ses vêtements de luxe et ses demeures de rêves.

Superficialité

Sur Youtube, il y en a donc pour tous les goûts. Mais une chose les réunit – outre leur animal de compagnie, chat ou chien, qu’elles possèdent presque toutes – : qu’elles soient au volant de leur voiture ou dans leur salle de bain, ces Algériennes ont réussi a capter, grâce à leur chaîne et, faut-il reconnaître, un savoir-faire très professionnel, des milliers de jeunes. Et, les blogueuses étant également de jeunes entrepreneures, su, pour la plupart, transformer cette audience en clientèle. A partir de leur communauté virtuelle, de nombreuses Youtubeuses algériennes ont effectivement créé un projet de vente ou de conception de vêtements, de produits de beauté, d’accessoires. Et ce grâce aux encouragements de leurs abonnés, d’une part, et à la disposition de moyens financiers et logistiques, d’autre part.

« Entertaineuses », spécialistes de la mode, conseillères en tout genre, c’est en tout cas ce qu’elles ont choisi d’être. Merci Internet. Car si la liberté de la femme, en Algérie, a encore du chemin à faire, à travers leurs posts et vidéos, ces jeunes femmes véhiculent l’image de femmes accomplies et sûres d’elles. Elles s’affichent avec une sacrée dose assurance – qui pourrait prêter, de temps en temps, à l’arrogance -, montent leurs business et s’érigent en coach de vie pour les milliers de jeunes femmes qui les suivent.

Seul ombre au tableau : les Youtubeuses ne donnent-elles pas l’impression que la femme n’existe que grâce à son rouge à lèvre ou le sac qu’elle tient au bout de son bras ? Peu d’entre elles, voire aucune, ne parle de l’importance de la culture ni de la défense de causes justes dans la vie. Résultat : elles sont souvent qualifiées de « superficielles » par les internautes. Un jugement à l’emporte-pièce, qui traduit mal le paradoxe que vivent ces Algériennes. Souvent engagées, de manière presque invisible, contre les inégalités liées au genre. Mais à qui l’on reproche à l’inverse de discréditer le féminisme. 

 

Crédits photo : capture d’écran, Ryma BeautéAddict (chaîne Youtube)

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