En Algérie, rue de la Liberté

Les Algériens ont de nouveau manifesté par milliers, vendredi dernier, contre un régime de plus en plus acculé.

Il y a quelques mois encore, la chose semblait entendue : Abdelaziz Bouteflika aurait droit à un 5ème mandat consécutif, en avril prochain, bénéficiant notamment de la désorganisation à l’œuvre dans les rangs de l’opposition, qui s’effacerait pour sécuriser la place de l’impotent chef de l’Etat, 88 ans, absent de la scène publique et politique depuis son AVC en 2013. Libre au « système » – chapeauté notamment par son frère, Saïd Bouteflika – de perpétuer cette politique de rentes et de compromission, qui fait le sel de l’Etat algérien depuis des décennies. De l’Etat algérien et non des Algériens, qui ont prouvé, ces dernières semaines, qu’ils n’accepteraient plus les excès en tout genre du pouvoir en place. Ce qu’ils désirent profondément ? La liberté.

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Vendredi dernier, ils étaient, comme depuis plus de 4 semaines, des centaines de milliers à descendre dans les rues du pays, d’Alger à Constantine, pour protester, désormais, contre le prolongement du 4ème mandat d’Abdelaziz Bouteflika. Ou plus exactement de son équipe au pouvoir, qui suscite de plus en plus la défiance de la société. « Le régime perd tous ses piliers, les syndicats autonomes rejoignent le mouvement [des manifestants], les magistrats défient le pouvoir, il y a même des remous du côté des grands patrons ! La rue est un référendum à ciel ouvert qui demande le changement du système », s’est ainsi récemment exclamé Soufiane Djilali, président du parti Jil Jadid (« Nouvelle génération »), créé en 2012 et proche du mouvement Mouwatana (« citoyenneté-démocratie »).

Ne pas laisser s’échapper la liberté

Des vagues de défections qui ne font que renforcer la détermination des Algériens à s’emparer de la rue et à crier leurs slogans anti-régime – emprunts, comme toujours, d’humour -, en leur ôtant tout sentiment de peur, de fatalité et de soumission. A Oran, vendredi dernier, des individus ne tenaient-ils pas du bout des bras, surplombant la foule, un fauteuil roulant vide – affront délicieusement irrévérencieux à l’égard de leur président ? Dont la question du départ, pour certains, ne fait d’ailleurs désormais plus l’ombre d’un doute. « Les Algériens ne veulent plus de ce régime. Ce n’est pas à ce régime de faire des élections ou d’écrire une nouvelle Constitution pour les Algériens », expliquait il y a peu le sociologue algérien Nacer Djabi, qui envisage l’annonce du « retrait de Bouteflika [pour] très bientôt ».

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Reste à ne pas laisser le régime profiter d’un éventuel essoufflement du mouvement protestataire. La liberté tend les bras aux Algériens ; encore faut-il savoir l’apprivoiser, l’organiser. Et surtout ne pas la laisser s’échapper. Voilà ce qu’estime des médias en Algérie, qui s’interrogent depuis peu sur l’après-manifestations. Devant l’absence de réaction du pouvoir, l’armée jouera-t-elle la carte de la récupération, comme le redoutent certains ? L’opposition réussira-t-elle à s’organiser pour mettre fin au système Bouteflika tout en répondant favorablement aux attentes de la rue ? Celle-ci tiendra-t-elle jusqu’au bout de ce processus naissant (et excitant à tout point de vue), qui rappelle aux « anciens » comme aux plus jeunes une révolution inachevée, celle des années 60, où le désir d’indépendance et de liberté emplissait déjà les rues algériennes ?

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