La situation au Liban a dégénéré, la semaine dernière, après qu’un soldat libanais a tué par balle le responsable local d’un parti politique.
Voilà plus d’un mois, déjà, que les protestations populaires contre la classe politique libanaise ont investi les rues du pays. Un mois, depuis ce 17 octobre où la population s’est réunie, de manière spontanée, après que le ministre des Télécommunications, Mohammed Choucair, avait décidé de taxer le service de messagerie WhatsApp. Le coup de trop, pour les Libanais, qui connaissent actuellement l’une des plus graves crises financières de leur histoire. Et restent en tout cas dans l’expectative, suspendus à la décision du chef de l’Etat, Michel Aoun, chargé de former un nouveau gouvernement « indépendant », après la démission du Premier ministre Saad Hariri le 29 octobre dernier. « Vers quoi se dirige le Liban ? », se demande ainsi le quotidien francophone libanais L’Orient-Le Jour, illustrant parfaitement ce moment de latence et d’incertitude.
Gouvernement d’experts
Incertitude qui ne doit pas effacer les « succès » qu’a d’ores et déjà engrangés la rue : « La chute du gouvernement, le report de la séance parlementaire prévue le 12 novembre qui envisageait l’adoption d’une loi d’amnistie générale, mais aussi la récente décision de justice d’obliger les sociétés de téléphonie mobile à émettre leurs factures en livres libanaises. » Des « victoires ponctuelles » auxquelles il convient d’en ajouter d’autres, « sociétales » et « plus profondes », comme le fait pour le peuple de s’être exprimé d’une seule et même voix, de manière pacifique, s’affirmant ainsi comme une véritable « autorité de contrôle » selon une manifestante interrogée par le média libanais. La rue « a brisé les tabous politiques et communautaires et fait preuve d’un grand respect de sa diversité, en refusant de nommer des représentants », a-t-elle déclaré.
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Désormais, les manifestants insistent pour que le gouvernement soit composé exclusivement d’experts et de technocrates, dont la tâche principale sera de redresser l’économie. Une gageure, tant le poids confessionnel et partisan demeure important dans le pays, qui pourrait toutefois assister à l’émergence de nouvelles figures politiques, contestataires et réformatrices, au sein des partis en place. Si le mouvement de protestation demeure sans leader, certaines formations se sont rapprochées des manifestants et n’hésitent à parler en leur nom. Ainsi le Hezbollah (« parti de Dieu », chiite), qui avait dominé le gouvernement Hariri avec ses alliés, exige-t-il en écho aux revendications populaire que le nouvel exécutif fasse la part belle à l’expertise. Pour certains analystes, il s’agit surtout de s’assurer que le nouveau gouvernement ne viendra pas mettre le nez dans les affaires des groupes armés (dont fait parti le Hezbollah).
Partition irresponsable
Plusieurs leaders religieux et politiques ont également donné de la voix, depuis le 17 octobre dernier. Pas de quoi émousser cependant la volonté des manifestants de poursuivre leur lutte de manière unie et apolitique. Car « le point de non-retour semble désormais atteint », estime L’Orient-Le Jour ; partant, « aucun gouvernement ne pourra voir le jour sans qu’il ne prenne en considération les revendications populaires ». Problème, le Liban pourrait être rattrapé par le facteur temps : alors que les Libanais exigent des réformes économiques de toute urgence – sous peine de voir la crise s’intensifier -, le calendrier de la transition politique s’inscrit naturellement dans la lenteur. Si bien que le marasme économique pourrait se transformer rapidement en chaos, selon certains, sans gestion efficace imminente.
Un chaos d’autant plus probable que la situation de la rue a dégénéré, la semaine dernière, après qu’un soldat libanais a tué par balle le responsable local d’un parti politique lors d’une manifestation dans le sud de Beyrouth. Si l’armée a rapidement déclaré que l’homme avait été relevé de ses fonctions et qu’une enquête était conduite, la tension monte inexorablement. Mercredi dernier, un homme a ouvert le feu en pleine rue, au nord de la capitale, et des bagarres et autres jets de pierre ont éclaté entre partisans et opposants de Michel Aoun. Qui doit plus que jamais prendre ses responsabilités de chef d’Etat et mettre les intérêts particuliers de côté pour engager le pays sur de bons rails. Mais le veut-il seulement ? Certains estiment que le pouvoir, loin de vouloir satisfaire la rue, compte sur son essoufflement. Une partition irresponsable, voire très dangereuse.
