Tant que le système restera en place, ses clameurs résonneront pour longtemps, couvrant ainsi tout désir de changement.
Connu pour sa résistance au changement, qui semble néanmoins inévitable aujourd’hui, le « système » algérien est un grand amateur de la manipulation des masses. Comme, d’ailleurs, depuis 1962, date à laquelle l’Algérie avait cru obtenir son indépendance. Mais si les acteurs changent, l’école reste la même. Et ses élèves tentent inlassablement de manipuler et de phagocyter le mouvement de révolte qui réveille le pays depuis la fin février dernier.
Parmi les stratégies de manipulations des masses, il y a la plus connue : créer des problèmes puis proposer des solutions. Une méthode également appelée « problème-réaction-solution », qui consiste à faire émerger une « situation » afin de susciter une certaine réaction du public, qui finit par réclamer des mesures que l’on souhaitait de toute manière lui faire accepter.
Le régime savait très bien que le 5ème mandat ne passerait pas dans l’opinion publique et que le président de la République, Abdelaziz Bouteflika, ne pourrait occuper éternellement cette fonction. Proposer sa candidature était donc une façon de susciter la colère des Algériens, avant de tenter de les calmer en retirant la candidature (plus que) polémique. Tout en proposant la tenue d’une « conférence nationale » et de reporter les élections. Tentative de la part du système qui, n’ayant sans doute pas trouvé son prochain pantin, cherche à gagner du temps ?
La stratégie de l’émotionnel
Faire appel à l’émotionnel, en politique, reste une technique classique pour éviter d’éveiller l’analyse rationnelle et, par conséquent, le sens critique des individus. En Algérie comme ailleurs. Laisser les citoyens tomber dans la passion, ressortir les drapeaux qu’ils ne brandissent plus, depuis un moment, que lors des matches de football, et s’émouvoir face à des scènes inédites de solidarité et de rassemblement autour d’un objectif commun, telle serait ainsi le moyen, pour le système, d’accéder à l’inconscient de la foule.
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Pour rappel, au début des manifestations pacifiques, l’ex-Premier ministre, Ahmed Ouyahia, avait mis en garde contre un scénario syrien en Algérie, en commentant le mouvement de protestation. Soit l’une des prémices de la technique dite « de la peste ou du choléra », afin de remplacer la révolte par la culpabilité et d’inhiber l’action des manifestants, qui appelaient (et appellent toujours) à un départ généralisé et définitif du système.
Le chef d’état-major de l’Armée nationale populaire (ANP), Ahmed Gaïd-Salah, a réagi ce lundi 18 mars de manière directe aux manifestations populaires, en saluant la « profonde conscience populaire » de la rue. Celui qui n’hésitait pas à s’afficher derrière Bouteflika, avant les vagues de manifestation, a estimé qu’à « chaque problème existe une solution, voire plusieurs ». Et a réitéré sa « confiance absolue en la sagesse du peuple [pour] éviter à son pays toute conjoncture pouvant être exploitée par des parties étrangères hostiles ».
« Transition » conduite par le pouvoir
Certains y ont vu une tentative de changer de camp et de se rapprocher du peuple. Il pourrait également s’agir d’une manœuvre de manipulation visant à bercer le peuple en le caressant dans le sens du poil. Ce qui ferait gagner du temps au système pour qu’il applique les « solutions » annoncées par Gaïd-Salah. Autrement dit : pour faire accepter une mesure inacceptable, il suffit de l’appliquer progressivement, en « dégradé », sur le long terme.
Le chef d’état-major de l’ANP ne serait pas le seul à adopter cette posture. L’ex-Premier ministre, poussé vers la sortie et sacrifié (en bouc-émissaire ?), Ahmed Ouyahia, a affirmé, dans une lettre envoyée aux militants de son parti (RND), dont il demeure secrétaire général, qu’il fallait « répondre » dans les meilleurs délais « aux revendications pacifiques » du peuple. Une déclaration qui n’a pas vraiment de sens et ne signifie aucunement un retournement de veste de la part de l’ancien chef de gouvernement. La preuve, son parti devrait participer au processus proposé par la présidence, en répondant favorablement à la prolongation du 4ème mandat ainsi qu’à la « transition » conduite par le pouvoir en Algérie.
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Si les intentions des « faiseurs de systèmes » étaient réellement de protéger les intérêts du peuple et de la nation, pourquoi n’ont-ils pas pris les choses en main dès le début, profitant ainsi d’une situation de calme politique et constitutionnel pour laisser souffler un vent de changement ? Et, ainsi, voir éclore cette « transition » dont ils parlent ? En résumé, tant que le système restera en place, ses clameurs résonneront pour longtemps. Gare à la manipulation !

Mounira Elbouti est doctorante et enseigante à l’IMT Business School. Elle s’intéresse à l’analyse de l’évolution des sociétés maghrébines post-« printemps arabe » et s’est spécialisée dans les questions de genre, de leadership et de transformation digitale. Elle a déjà collaboré avec le HuffingtonPost Maghreb, Le Mondafrique, Tunis Hebdo et Liberté Algérie.