De nombreuses familles sont dans l’incertitude la plus absolue en raison des procédures au long cours qui n’en finissent pas.
A l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) de Montrouge (Hauts-de-Seine), les cadrans affichent 8 heures 30. Une file d’hommes, de femmes et de poussettes, osant braver la fraîcheur matinale, s’étire et patiente. L’unique agent, qui se tient devant la porte de l’office, commence à manquer d’arguments pour répondre aux individus, à la recherche, pour la plupart, de papiers. Lorsque nous lui posons une simple question sur les visas, ses réponses, laconiques, fusent : « Envoyez un email » ; « Demandez un rendez-vous ». Nous préférons attendre. Et réussissons enfin à nous introduire dans le bâtiment et nous glisser jusqu’à l’accueil. Au milieu d’une petite salle, un homme occupe un bureau, et traite des dossiers tout en grignotant.
Malheureusement, celui-ci ne peut (par manque de temps ?) nous renseigner, sur une interrogation pourtant simple : « Combien de temps pouvons-nous rester sur le territoire français ? ». Même scénario à la préfecture des Hauts-de-Seine, où nous décidons de nous rendre juste après : personne pour nous renseigner… Si ce n’est une foule de personnes agglutinées, souvent désemparées, qui se livrent aisément. « Vous savez, cela fait 11 mois que ma procédure de regroupement familial a été entamée, confie cet homme à Montrouge. Je n’ai reçu qu’un seul courrier, une demande de complément de dossier, puis aucune réponse. Ma femme et mes deux filles sont au Maroc, ma famille est divisée et cela nous rend la vie difficile. »
Parcours du combattant
D’après l’Institut national de la statistiques et des études économiques (Insee), en 2014, 4,2 millions d’étrangers et 6 millions d’immigrés vivaient en France. Soit respectivement 6,4 % et 9,1 % de la population totale. Après une stabilisation de l’immigration, « phénomène ancien » selon l’Institut, dans les années 1990, celle-ci a repris son cours à partir des années 2000 ; si le nombre de femmes immigrées a légèrement augmenté – suffisamment pour passer devant les hommes (51 % en 2014 contre 44 % en 1968) -, celui des personnes immigrées nées au Maghreb a quant à lui stagné (30 %). Et quelles que soient les « périodes » migratoires, le regroupement familial, aujourd’hui régi par le Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA), a toujours joué un rôle important dans l’arrivée de personnes étrangères sur le sol français.
Cette procédure, qui permet à « l’étranger non européen, titulaire d’un titre de séjour en France, [d’être] rejoint par son époux et ses enfants », existe depuis un décret de 1976. A l’époque, le gouvernement de Jacques Chirac, initiateur du texte, souhaite faire dépendre l’arrivée en France de la bonne santé économique du pays. Mais il faut attendre un arrêt du Conseil d’Etat – la plus haute juridiction de l’ordre administratif en France -, deux ans plus tard, pour que le regroupement familial soit érigé en principe général du droit. Date à laquelle, selon l’historien du droit conservateur Jean-Louis Harouel – reprenant une formule du sociologue franco-algérien Abdelmalek Sayad -, « l’immigration de travail » a glissé vers l’ « immigration de colonisation ».
Grand analyste du fait migratoire, Abdelmalek Sayad, qui fut élève du sociologue français Pierre Bourdieu, souhaitait avant tout aborder l’immigration comme un « fait social total ». Et non plus en termes de coûts et avantages économiques. Toutefois, belle dans son idée et porteuse d’espoir pour les populations concernées, la procédure du regroupement familial, loin d’être simple dans sa réalisation, demeure un parcours du combattant pour les ressortissants étrangers. Qui doivent remplir, dans un premier temps, tout un tas de conditions. Entre autres : revenu et surface habitable minimums exigés, en fonction de la taille de la famille et de la zone géographique ; possession de titres divers ; absence de « menace pour l’ordre public » notamment.
Cartes séjour « Passeport Talent »
Et quand bien même les cases semblent cochées, l’accès au regroupement familial peut s’avérer délicat. « Je travaille pourtant dans une grande enseigne française et je paie mes impôts, pourquoi n’ai-je pas accès à un droit aussi basique, celui d’être accompagné par ma famille que je n’ai pas vue depuis des mois ? », s’interroge l’homme rencontré à l’OFII de Montrouge. La procédure de regroupement dure 6 mois en moyenne, selon les versions officielles. Faux, répondent les personnes rencontrées dans les Hauts-de-Seine. « Il faut attendre un an au minimum », s’exclament certaines. Et tout le monde est logé à la même enseigne ; aucun passe-droit ni traitement de faveur en fonction des revenus, du patrimoine ou du titre professionnel.
« Nous avons émis une demande de regroupement familial mon épouse et moi-même, puis nous avons attendu 8 longs mois avant d’avoir un retour disant qu’il manquait des papiers au dossier administratif. Pourtant il ne manquait rien, nous avons tout envoyé, s’agace un professeur-chercheur en sciences de gestion – propriétaire d’un grand appartement situé dans un quartier huppé de Paris nous glissera-t-il. Après avoir complété notre dossier ainsi que l’OFII nous l’a demandé, nous avons reçu un autre courrier nous disant qu’il manquait encore un papier, vous imaginez ? C’est comme s’ils faisaient exprès de nous faire attendre. Entretemps, ma femme est venue en France et a accouché d’un enfant. Sans papiers ! », confie-t-il excédé.
Résultat, de très nombreuses familles, essentiellement algériennes et marocaines, voient leur stabilité vaciller. Soumises à des procédures fastidieuses, au long cours, elles n’ont aucune solution, si ce n’est celle d’attendre que leur dossier arrive sur le haut de la pile dans les OFII. La question du sort de ces immigrés « particuliers » a beau faire l’objet de critiques répétées, en France, le ministère de l’Intérieur – dont dépendent les Offices français de l’immigration et de l’intégration – semble ne pas vouloir lever le petit doigt pour arranger les choses. Si bien qu’il est à se demander ce que compte faire le gouvernement pour y remédier. Outre la délivrance de cartes de séjour « Passeport Talent », uniquement réservées à une élite, à des fins économiques…

Mounira Elbouti est doctorante et enseigante à l’IMT Business School. Elle s’intéresse à l’analyse de l’évolution des sociétés maghrébines post-« printemps arabe » et s’est spécialisée dans les questions de genre, de leadership et de transformation digitale. Elle a déjà collaboré avec le HuffingtonPost Maghreb, Le Mondafrique, Tunis Hebdo et Liberté Algérie.