Selon un récent bilan de l’ONU, plus de 920 000 personnes ont été déplacées au cours des quatre premiers mois de l’année en Syrie.
Tandis que forces progouvernementales et coalition américaine s’écharpaient, hier, sur la responsabilité des frappes aériennes qui ont fait plus de 50 morts, parmi les troupes loyalistes, dans l’est de la Syrie, le cri d’alarme poussé un peu plus tôt par le Bureau de coordination des affaires humanitaires (OCHA) des Nations unies (ONU) peinait à se faire entendre. Entre le 20 janvier et le 18 mars derniers, a-t-il rappelé dans un communiqué publié vendredi dernier, les forces armées turques et les groupes alliés de l’armée syrienne libre ont lancé l’opération militaire « Rameau d’olivier » contre les forces démocratiques syriennes (kurdes) dans le district d’Afrin (nord). Si les projecteurs de l’actualité se sont détournés de la région, depuis, les combats ont fait, d’après l’OCHA Syrie, quelque 134 000 personnes déplacées dans les environs. Et d’après une évaluation multisectorielle rapide des besoins, réalisée au début du mois de mai dernier, « la situation humanitaire dans le district est pire que ce qui était initialement prévu. »
Précarité psychologique
Après deux mois d’hostilités, la majorité du district d’Afrin est passée sous le contrôle des forces armées turques et de leurs supplétifs syriens, qui ont dû permettre, comme ils s’y étaient engagés, à tous les civils de quitter la zone. « Les estimations actuelles indiquent que 134 000 personnes demeurent déplacées à l’extérieur du district [et] la liberté de mouvement de ces personnes […] reste limitée, y compris pour qu’elles puissent se déplacer vers la ville d’Alep » légèrement plus au sud. Ceci alors que certains habitants d’Afrin ont des liens familiaux ou des propriétés dans la ville, ancien bastion des rebelles et opposants à Bachar al-Assad, repris par le régime il y a quelques semaines. Ceci après que les forces syriennes s’étaient emparées de Douma, dans la Ghouta orientale (banlieue de Damas), l’un des derniers fiefs rebelle de Syrie, ce qui avait provoqué, début avril, l’exode de 75 000 personnes. En tout, selon un très récent bilan de l’ONU, plus de 920 000 personnes ont été déplacées dans le pays au cours des quatre premiers mois de l’année.
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« C’est le plus grand nombre de déplacés sur une courte période de temps depuis que le conflit a débuté » déplorait il y a quelques jours Panos Moumtzis, le coordinateur humanitaire de l’ONU pour la Syrie, évoquant un « déplacement massif à l’intérieur [du pays]. » Et malgré l’augmentation de la présence des partenaires humanitaires dans ces zones, « l’assistance et les services restent insuffisants, en particulier pour les personnes vivant dans les zones rurales » indique le communiqué de l’OCHA. Qui regrette également que « la situation en matière de protection des population déplacées […] reste catastrophique. » Les familles qui ont dû quitter Afrin et ses environs, par exemple, ont dû faire face à de multiples déplacements en raison du manque de logements convenables ou de coûts de location excessifs. Et à la précarité matérielle s’ajoute nécessairement la précarité psychologique, les Syriens exilés étant gagnés, selon le bureau onusien, par « l’anxiété ».
« Processus d’Astana »
Notamment parce qu’ils n’ont pas accès à une information très fiable concernant leur situation. Combien de temps resteront-ils dans des abris de fortune ? Pourront-ils bientôt regagner Afrin ou seront-ils dirigés vers un autre endroit ? Ils n’en ont aucune idée. « La crainte d’être évacués d’un logement temporaire, en particulier pour les personnes déplacées vivant actuellement dans des écoles, est un facteur d’incitation au retour dans le district d’Afrin » renseigne l’OCHA. Problème : la fourniture de documents d’état civil, en grande partie oubliés ou perdus pendant le vol, pose problème ; le manque d’infrastructures dans les zones de déplacement est un obstacle à la mise en œuvre de ces services. Sans compter que « l’accès des personnes déplacées aux registres d’état civil existant à Afrin est impossible », à cause du changement de « pouvoir » dans le district. Certains acteurs, indique le Bureau de coordination des affaires humanitaires de l’ONU, tentant dès lors de mobiliser des avocats et autres conseillers juridiques pour remédier à la situation.
Pour M. Moumtzis, le sort des personnes déplacées en Syrie est non seulement loin d’être réglé, mais il pourrait s’aggraver. Car après l’offensive victorieuse du régime à Alep et dans la Ghouta orientale, les rebelles et les civils ont évacué vers Idlib, qui continue d’être bombardée. « Nous n’avons peut-être pas vu le pire de la crise » estime ainsi le coordinateur humanitaire de l’ONU pour la Syrie. « Nous nous inquiétons de voir 2,5 millions de personnes poussées de plus en plus vers la frontière turque » et le problème, c’est qu’ « il n’y a pas d’autre Idlib vers où les envoyer ». Tandis que Bachar al-Assad, qui contrôle désormais plus de 60 % du territoire syrien, selon l’Observatoire syrien des droits de l’Homme (OSDH), est bien parti pour remettre la main sur « son » pays, se tenait hier à Genève (Suisse) une réunion entre les pays garants du « processus d’Astana » et l’envoyé spécial de l’ONU pour la Syrie, Staffan de Mistura. Au menu : la nouvelle constitution syrienne, comment préserver la souveraineté de Damas ainsi que l’intégrité du territoire syrien. Mais pas grand chose sur les déplacés.
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