L’affaire ayant conduit la gestionnaire de fonds russe en prison prend ses racines dans les tractations militaires moyen-orientales.
La ressortissante russe, condamnée en 2018 à dix ans de prison et de travaux forcés après avoir été reconnue coupable par la justice du Koweït de détournements de fonds, n’aura retrouvé la liberté que durant 4 petits mois. Cette libération sous caution était intervenue grâce à l’intervention d’un mystérieux dignitaire koweïtien — dont il se murmure qu’il pourrait s’agir de son ancien employeur —, qui a versé les 3,3 millions de dollars de caution s’ajoutant aux 33 millions dont Lazareva s’était déjà acquittée.
Si son nom n’évoque rien au grand public, Marsha Lazareva est en revanche connue comme le loup blanc dans les réseaux d’affaires américains impliqués dans le Golfe persique. Et pour cause : la quarantenaire, diplômée de la prestigieuse Wharton School of Business — sur les bancs de laquelle est passé un certain Donald Trump —, était avant son incarcération vice-présidente et directrice générale du fonds d’investissement KGLI (Kuwait & Gulf Link Investments). Une société à succès, gérant, notamment, « The Port Fund » : un fonds dont la valeur initiale, de 188 millions de dollars, a doublé en dix ans, et dont le tour de table comprenait des acteurs stratégiques, comme la sécurité sociale koweïtienne et l’autorité portuaire du même pays. C’est cette dernière institution qui a porté plainte contre Mme Lazareva, accusée d’avoir détourné quelque 496 millions de dollars de fonds publics.
KGL, KGLI : au cœur du scandale, deux sociétés jumelles
Arrivée au Koweït en 2004, la businesswoman russe a tout d’abord dirigé, de main de maître, le développement stratégique du groupe KGL (Kuwait & Gulf Link Transport). Un conglomérat coté en Bourse, spécialisé dans la logistique, réalisant plusieurs dizaines de millions de dollars de bénéfices grâce à des contrats mirobolants passés avec les armées des plus grandes puissances au monde. Fin 2006, Lazareva fonde KGLI, une société de capital-investissement et de capital-risque plaçant ses billes dans des entreprises de fret et de logistique. KGL, KGLI : deux entreprises aux noms quasi identiques, mais qui, sur le papier, n’ont aucune attache légale. Cela n’empêche pas aux employés des deux entreprises d’être interchangeables : Saeed Dashti, coaccusé dans le procès de Masha Lazareva et président de KGL, siégeait par exemple au conseil d’administration de… KGLI. Quant à la principale accusée, six ans après avoir officiellement « fondé » KGLI, elle était toujours présentée en tant que vice-présidente et directrice générale du groupe KGL par un journal philippin.
La proximité entre les deux entreprises ne s’arrête pas là : bien qu’officiellement distinctes, les deux entités partageaient également leur siège social dans le même immeuble, tandis que la justice koweïtienne a pu établir qu’une partie des fonds détournés par Lazareva a bien été acheminée vers des sociétés du groupe KGL.
Ces liens troublants, les avocats de KGL les balaient d’un revers de la main, préférant voir dans ces tentatives d’association une campagne de diffamation — un porte-parole de KLG allant jusqu’à affirmer à The American Conservative que « malgré son nom, KGL Investments n’est ni détenue ni contrôlée par aucune des sociétés du groupe KGL ».
Les raisons du soutien de l’Oncle Sam
Au-delà des mystères qui continuent de planer sur l’affaire Lazareva, le cas de la businesswoman russe interpelle par l’ampleur de la campagne qui a été menée en faveur de sa libération. En prison, Marsha Lazareva a bénéficié du soutien inconditionnel de nombreuses personnalités, principalement — mais pas que — issues de l’establishment américain. Dans le désordre : Neil Bush, fils de l’ancien président Georges Bush ; Louis Freeh, ex-directeur du FBI et lobbyiste officiel pour KGLI ; Pam Bondi, ancienne secrétaire américaine aux Anciens combattants ; le député Républicain Ed Royce ; mais aussi Cherie Blair, épouse de l’ancien premier ministre britannique, Tatyana Yumasheva, fille de Boris Eltsine, ou encore Sergueï Lavrov, ministre des Affaires étrangères de Russie… : toutes ces personnalités ont, par le passé, porté secours à l’accusée Lazareva ou affirmé leur soutien à cette dernière. Une « union sacrée » des puissants de ce monde, qui a même fait dire à Neil Bush qu’il était « difficile, à l’exception peut-être du programme spatial, de trouver dans l’histoire un tel exemple où les États-Unis et la Russie se sont alliés pour atteindre un objectif commun ». Donald Trump en personne suivrait le « cas Lazareva » de près.
Malgré une condamnation à 15 ans de prison, les avocats de Marsha Lazareva comptent, une nouvelle fois, faire appel. Parallèlement, l’équipe de Lazareva a sommé le gouvernement américain et les Nations Unies de lancer une nouvelle campagne de lobbying pour faire pression sur la justice koweïtienne. Cette demande a d’ailleurs été reprise par des membres du Congrès américain qui ont exigé du Département du Trésor qu’il se penche sur de possibles sanctions économiques contre le Koweït, au regard de cette condamnation. Arme économique qui n’a d’ailleurs plus à faire ses preuves.
Il semble toutefois peu crédible que l’activisme américain sur ce dossier ait beaucoup à voir avec la justice. KGL, la compagnie sœur de KGLI, est en effet étroitement lié aux intérêts militaires américain ; la société a, cette année par exemple, répondu à un appel d’offres de l’US Army, d’un montant de 700 millions de dollars, et qui devait atteindre 1,4 milliard d’ici à 2022. Si cela ne suffit pas, en soi, à justifier les raisons du soutien à la citoyenne russe, qui n’est finalement que le maillon de la chaîne, cette proximité avec le monde politico-militaire explique en tout cas les trésors de lobbying déployés pour sauver le soldat Lazareva.
