En Libye, « passer de la parole aux actes »

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20.01.2020

Dimanche, à l’issue de la conférence de Berlin, les « acteurs externes » au conflit en Libye ont été directement pointés du doigt.

Sur la photo officielle, tout le monde a sorti son plus beau sourire. Dimanche 19 janvier se tenait, à Berlin (Allemagne), une conférence pour sortir la Libye de la crise. La chancelière allemande avait invité les dirigeants de 12 pays ainsi que les Nations unies (ONU), l’Union européenne, l’Union africaine et la Ligue arabe, afin de soutenir les efforts internationaux pour mettre fin aux combats en Libye, autour de la capitale, Tripoli. Qui voient s’affronter, depuis avril 2019, les forces de l’Armée national libyenne (ANL) du maréchal Haftar et celles du Premier ministre reconnu par la communauté internationale, Fayez al-Sarraj. Et ont fait, selon un communiqué de l’ONU, des milliers de morts et de blessés, et contraint plus de 170 000 personnes à quitter leur domicile.

« Cauchemar humanitaire »

Il y a un an, pourtant, les Libyens pouvaient à juste titre afficher leur contentement. Avec le soutien de la communauté internationale, ils adoptaient des « mesures pleines d’espoir » pour faire avancer la Libye vers l’introuvable « solution politique ». Les parties libyennes, à savoir celle du général Haftar et celle du Premier ministre internationalement reconnu, Fayez al-Sarraj, s’étaient alors mises d’accord pour organiser des élections parlementaires et présidentielle avant la fin de l’année 2019. « Ces espoirs ont été anéantis en avril », a lâché le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, dimanche, faisant référence à l’offensive des forces de Khalifa Haftar contre celles du gouvernement d’entente nationale.

« Le droit humanitaire international a été défié à maintes reprises » ces derniers mois, a-t-il insisté, tout en rappelant qu’il ne pouvait y avoir de solution militaire en Libye. « Il est maintenant temps de prendre des mesures immédiates et décisives pour empêcher une guerre civile totale », a également exhorté Antonio Guterres, avant d’avertir qu’un tel conflit pourrait entraîner une « division permanente » du pays et un « cauchemar humanitaire ». Sans compter que les événements libyens impactent directement les voisins de la Libye – la région du Sahel notamment -, où le secrétaire général de l’ONU a regretté qu’il y ait « plus de terrorisme, plus de trafic d’êtres humains, plus de trafic de drogues, d’armes et de personnes ».

Bataille d’influence

Sans les nommer, Antonio Guterres a directement pointé du doigt les « acteurs externes également impliqués » dans le conflit en Libye, comme la Russie, la France et la Turquie. Dont les représentants, Vladimir Poutine, Emmanuel Macron et Recep Tayyip Erdogan, étaient tous présents, dimanche à Berlin. Tandis que les deux premiers ne cachent pas leur sympathie pour l’ANL du maréchal Haftar – ni pour son pétrole, qu’il tient d’une main de maître à l’est de la Libye -, le troisième a choisi d’apporter son soutien au gouvernement d’Al-Sarraj – à qui il fournit troupes et armes en vertu d’un protocole de « coopération militaire et sécuritaire » signé en novembre dernier -, tout comme, d’ailleurs, le Qatar par exemple.

ONU/Florencia Soto Niño Les dirigeants mondiaux sont réunis à la Conférence de Berlin sur la Libye dans la capitale allemande.

Ce dernier point est intéressant. Tandis qu’Ankara et Doha soutiennent une partie, l’Arabie saoudite, les Emirats arabes unis (EAU) et l’Egypte soutiennent l’autre – en l’occurence l’ANL. On voit dès lors se jouer, en Libye, la bataille d’influence en cours dans la péninsule Arabique, entre ces mêmes acteurs, depuis que les Qataris ont claqué la porte du Conseil de coopération du Golfe et fait savoir aux Saoudiens qu’ils désiraient se libérer de leur autorité de fait. Il semble dès lors difficile de faire cesser le jeu entre « acteurs externes » en Libye, comme l’appelle de ses vœux Antonio Guterres, sans mettre fin à la querelle entre voisins du Golfe. Qui, inutile de le préciser, ne se règlera pas de sitôt.

Embargo sur les armes

Côté russe également, les cartes sont brouillées. Officiellement, Vladimir Poutine, affirme être en faveur d’un processus de paix durable en Libye. « Il est important de mettre fin à la confrontation entre l’ANL et le gouvernement d’union nationale et d’instaurer un cessez-le-feu, de prendre des mesures pour un rétablissement du processus politique avec pour objectif ultime de surmonter la division à l’intérieur du pays », déclarait-il le 11 janvier dernier. Dans la forme, personne n’aurait pu mieux dire. Pourtant, Moscou est soupçonnée d’aider l’homme fort de l’Est libyen avec des envois d’armes et de mercenaires – ce qu’elle nie. De quoi atténuer sacrément les déclarations officielles – éternel jeu des relations internationales.

Conscients de ces freins sérieux à l’instauration d’un processus politique en Libye, Antonio Guterres n’en a pas moins appelé à « passer des mots à l’action ». L’ONU, à l’issue de la conférence de Berlin, a également réitéré son appel à tous ceux qui sont « directement ou indirectement impliqués dans le conflit » à tout faire pour obtenir la cessation des hostilités. Au passage, mention fut faite des « violations incessantes et flagrantes de l’embargo sur les armes imposé par le Conseil de sécurité [qui] doivent cesser », selon les mots du secrétaire général. Dont le sourire peinait à masquer la gravité de la situation, de plus en plus pressante.

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